NETTALI.COM - L’élection présidentielle du 24 mars dernier semble sonner la fin de vie de certains ténors et l’avènement de la nouvelle génération de porte-drapeaux. Diagnostic d’une reconfiguration évidente du paysage politique sénégalais.

Aucune parade n'a été possible pour éviter l’exit. Macky Sall, 62 ans, et sa coalition, Benno bokk yaakaar (Bby), rendent le pouvoir. Place à Bassirou Diomaye Faye, 44 ans, et sa coalition ‘’Diomaye Président’’. C’est grâce à des écarts immenses que les résultats provisoires de la Commission nationale de recensement des votes (Cnrv) de la Cour d’Appel de Dakar le donnent vainqueur, avec 54,28% des voix, devant son principal adversaire, l’ancien Premier ministre Amadou Ba, candidat de Bby qui a obtenu 35,79% des suffrages. Une lourde défaite au premier tour de l’élection présidentielle et une victoire éclatante marquant le début d’une reconfiguration profonde du paysage politique sénégalais. D’opposant antisystème, le frère d’armes de Ousmane Sonko, qui incarne à ses côtés une nouvelle génération d’hommes politiques et se pose en alternative aux élites en place depuis l’indépendance, passe à chef d’État.  Ce qui déplace naturellement les pièces sur l’échiquier. Et de facto, l’élection de Bassirou Diomaye Faye et l’affirmation de Ousmane Sonko comme le grand leader de l’opposition (lors de la campagne électorale) vont entraîner la mise à la retraite des caciques, «dont le logiciel politique ne correspond pas à la mentalité des jeunes». C’est ce que les résultats du scrutin inspirent au Dr Alassane Ndao. Pour l’Enseignant-chercheur en Sociologie politique à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, le pays est dans une phase de réconciliation. Une dynamique de re-politisation de la jeunesse sénégalaise qui se retrouve dans le profilage des candidats. «C’est ce qui explique le score très faible qu’on peut attribuer à des candidats qu’on pensait être des mastodontes de la politique», constate-t-il. Le Maître de Conférences titulaire en Sociologie politique fait référence à Idrissa Seck qui se retrouve avec 0,90% et à Khalifa Sall qui a 1,56% des voix, d’après les résultats provisoires. Leur ancienneté politique n’a pas pesé sur la balance.

Au crépuscule d’une carrière militante entamée dès l’adolescence et tourmenté par moments- à cause de ses ennuis judiciaires sous le régime de Macky Sall, puis réhabilité à la faveur d’une grâce présidentielle- le candidat de ‘’Taxawu Sénégal’’ a joué son va-tout dans cette première (et dernière ?) participation à un scrutin présidentiel. La cinquantaine d’années de militantisme qu’il revendique n’a pas servi à le porter à la magistrature suprême. Plusieurs fois député et ministre sous la Présidence d’Abdou Diouf, élu deux fois maire de Dakar (2009 et 2014), ancien secrétaire national des Jeunesses socialistes, responsable des jeunes, secrétaire aux élections, puis secrétaire à la vie nationale du Parti socialiste, Khalifa Sall n’a pourtant pas pu regrouper un nombre considérable de voix en sa faveur (69 760 voix soit 1,56%). Cette déroute, doublée de l’obstacle sur l’âge, rend peu probable une représentation à l’élection présidentielle de 2029.

Idrissa Seck, l’autre poids lourd de la politique sénégalaise à tenter sa chance, n’a pas fait mieux que le socialiste. Habitué de la course présidentielle, puisqu'il sollicitait le suffrage des Sénégalais pour la quatrième fois consécutive, Idrissa Seck a vu son électorat s’effriter considérablement. Entre les deux élections présidentielles, le président du parti ‘’Rewmi’’ a perdu deux rangs. Ses résultats sont passés de 899 556 voix (20,51 %) en 2019 à 40 286 voix (0,90%) en 2024. Arrivé deuxième à l’élection présidentielle en 2019, l’ancien Premier ministre sous Abdoulaye Wade (entre 2002 et 2004), s’est positionné à la quatrième place derrière Bassirou Diomaye Faye, Amadou Ba de Bby et Aliou Mamadou Dia du Pur. Révélé aux Sénégalais lors de la présidentielle de 1988 en tant que directeur de campagne de Maître Abdoulaye Wade, Idrissa Seck a, pendant longtemps, travaillé dans l’ombre du président Wade, avant de connaître une rupture avec ce dernier en 2004, suite aux accusations de dépassement du budget d’un chantier à Thiès et l’attribution d’un marché sans en avoir le droit. Ministre du Commerce, de l'Artisanat et de l'Industrialisation sous la présidence de Abdoulaye Wade, ministre d'État, Directeur de cabinet du président de la République, puis Premier ministre, cet ancien maire de Thiès qui a longtemps été la deuxième personnalité du Parti démocratique sénégalais (Pds) avait pourtant nombre d’atouts. De quoi coiffer au poteau les plus jeunes. Mais l’électorat sénégalais en a décidé autrement. Il a opté pour une candidature jeune. «C’est révélateur de cette dynamique continue de re-politisation de la jeunesse. Les jeunes ont des exigences extrêmement élevées qui ne peuvent être prises en compte par ces profils qui ont fait leur temps et laissé passer leur chance. Idrissa Seck a eu deux chances pour marquer sa période : l’élection présidentielle de 2007 puis celle de 2019. Après, à chaque fois, il a eu à faire des choix qui l’ont desservi», ajoute l’analyste politique.

Les ténors menacés de disparition

Cette re-politisation de la jeunesse ne laisse aucun espoir, selon lui, à ces briscards qui vont disparaître de la scène politique. «C’est une fatalité.» Qui alors pour raviver la flamme orange de ‘’Rewmi’’ d’Idrissa Seck ? Pour le moment, aucun «joker» n’émerge du lot. Contrairement à Khalifa Sall qui, lui, tient son héritier. Alassane Ndao : «Barthélémy Dias va prendre le témoin, c’est une suite logique.» A 46 ans, le maire de Dakar incarne une nouvelle génération politique qui a su mobiliser une jeunesse excédée par l’absence de perspectives et par l’usure des partis traditionnels. Energique, turbulent, voire bouillonnant, Barthélémy Dias, pur produit du socialisme, creuse son sillon vers la consécration d’une carrière politique entamée en 2005. Député à l'Assemblée nationale dans la 12e législature (2012), il a été secrétaire élu au bureau de l'assemblée nationale, membre de la commission des affaires étrangères, de l’union africaine et des Sénégalais de l’extérieur, etc.

L’enseignant à l’Ugb, Alassane Ndao, le verrait bien dans ses habituels habits d’adversaire. Pour lui, il faut s’attendre à ce que l’ancien maire de Mermoz-Sacré-Cœur soit l’un des opposants les plus farouches au nouveau régime. «Il est de la même génération plus ou moins, il va donc pouvoir parler le même langage qu’eux», justifie le Maître de Conférences titulaire. Babacar Dione, journaliste, partage cet avis. Dans cette nouvelle configuration politique, il pense que le maire de Dakar peut incarner le flanc dur de l’opposition. Celui-là qui tiendra à l’œil le Président Bassirou Diomaye Faye et jouera le rôle d’alerte. Il pourrait être pour Diomaye Faye ce qu’Ousmane Sonko était pour Macky Sall, plus ou moins. «Les Sénégalais peuvent donner tous les pouvoirs à Diomaye Faye, mais jamais, ils ne sacrifieront un opposant fort», souligne le journaliste. Le poulain de Khalifa Sall peut alors toujours rebondir, de l’avis de Babacar Dione, mais tout dépendra de la gestion du nouveau chef d’Etat, de ce qu’il aura réussi ou pas. Et c’est dès à présent que le maire de la ville de Dakar doit œuvrer à être le leader de l’opposition, s’il veut maintenir sa carrière politique. Babacar Dione : «C’est la meilleure posture pour Barthélémy Dias. Il doit travailler pour que la défaite de Khalifa Sall soit très vite oubliée et que ‘’Taxawu Sénégal’’ lui donne les cartes en main. ‘’Taxawu Sénégal’’ va-t-il accepter de faire de lui son leader politique ? On verra bien. En tout état de cause, il a un appareil important, la mairie de Dakar. Il a les moyens d’être un leader de l’opposition.»

Anta Babacar, Thierno Alassane Sall, Papa Djibril Fall, la relève ?

En remportant le scrutin du 24 mars, Bassirou Diomaye Faye dame le pion à 18 candidats, dont certains de sa génération ou plus matures. Des figures qui peuvent toujours maintenir l’adversité. On peut penser à Thierno Alassane Sall (58ans) qui, jusque-là, n’a fait aucun cadeau à Macky Sall depuis qu’il a quitté son gouvernement dans lequel il a occupé tour à tour les postes de ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement et ministre de l'Énergie. Le président du parti République des Valeurs/Réewum Ngor en a aussi fait voir de toutes les couleurs au candidat Karim Wade, contre qui il a déposé une réclamation auprès du Conseil constitutionnel pour dénoncer une double nationalité franco-sénégalaise. Sa première participation s’est soldée par une défaite. Thierno Alassane Sall qui n’a remporté que 25 946 voix (0,58%), peut toujours poursuivre sa carrière politique, et s’illustrer davantage dans l’opposition, quand on sait que celui qui leur faisait de l’ombre, Ousmane Sonko, a rejoint le pouvoir.

Dans le registre des adversaires, pourrait également s’inscrire la candidate malheureuse, Anta Babacar Ngom (40 ans), «vu ses antécédents avec Bassirou Diomaye Faye dans l’affaire Ndengler», pense le Dr en Sociologie politique, Alassane Ndao. Le journaliste Babacar Dione a relevé chez elle un «potentiel énorme», durant la campagne pour la Présidentielle. Ce qui lui fait dire que la présidente du parti Arc (Alternative pour la relève citoyenne) peut aussi maintenir le flambeau de l’opposition radicale, si elle ne flanche pas. «On l’a sentie dans son bain durant toute la campagne. Je crois qu’on peut compter sur elle pour la relève. Si elle ne fait pas de faux pas entre-temps et accepte de continuer de se battre», renchérit le journaliste. Quid maintenant de Papa Djibril Fall (38 ans) ? Dr Alassane Ndao : «En 2019, il a eu un discours très critique à l’égard de Pastef. Il avait déjà endossé cette posture. Je ne le vois pas entrer dans une alliance avec Pastef. Je pense qu’il va s’affirmer comme un opposant. Pas tout de suite, mais dans quelques mois.»

A côté de ces têtes, naîtront et se distingueront, au fil des ans, d’autres qui vont incarner la nouvelle opposition, d’après les analystes politiques. Celle-ci ne manquera pas d’opportunités pour porter un discours critique. «Cela peut ne pas arriver tout de suite, mais progressivement, parce que l’exercice du pouvoir est très compliqué. Pastef va bientôt exercer le pouvoir. Et le pouvoir c’est très difficile. Il y aura des visions qui se heurteront à la réalité du moment (contexte économique, social …). Il va y avoir des arbitrages qui seront peut-être impopulaires. A partir de ce moment-là, il faut s’attendre à une érosion progressive de la popularité de Pastef, mais surtout d’Ousmane Sonko», a laissé entendre Dr Alassane Ndao, rappelant qu’à l’épreuve d’un exercice du pouvoir, tout peut arriver.