NETTALI.COM - La crise diplomatique entre Bamako-Alger sur fond de tensions autour de l’accord d’Alger de 2015 est monté d’un cran entre les deux capitales. Bamako, qui a rappelé son ambassadeur d’Alger après la réception des groupes rebelles et de l’imam Mouhamed Dicko, n’a jamais manqué d’indiquer son opposition à cet accord qu’il considère comme une atteinte à la souveraineté et l’intégrité territoriale du Mali.

La brouille diplomatique entre Bamako et Alger a pris une nouvelle tournure avec le rappel des ambassadeurs en poste dans les deux capitales. La junte malienne reproche au gouvernement algérien son ingérence dans les affaires intérieures du Mali, après avoir reçu une délégation des forces rebelles signataires de l’accord de paix d’Alger de 2015. Ainsi, une délégation du CSP composée de plusieurs hauts dirigeants des groupes rebelles dont notamment Alghabass Ag Intallah, chef de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et des responsables du groupe MSA (Mouvement pour le salut de l'Azawad), principal groupe signataire pro-Bamako, ont été reçus à Alger, le 13 décembre dernier.

Par ailleurs, la réception de l’Imam Mahmoud Dicko, ancien président du Haut conseil islamique du Mali, par le président algérien Abdelmadjid Tebboune, le 24 décembre dernier, a aussi fortement déplu du côté de la capitale malienne. A la suite de ces événements, le gouvernement malien a rappelé son ambassadeur à Alger, le 22 décembre 2023, pour “consultation”. L’ambassadeur d’Algérie au Mali par principe de réciprocité a été rappelé à Alger.

Le gouvernement algérien s’est défendu de toute ingérence rappelant juste la nécessité de “toutes les parties maliennes à renouveler leur engagement dans la mise en œuvre de l'Accord de paix et de réconciliation issu du processus d'Alger”, a-t-il déclaré dans un communiqué soulignant au passage avoir aussi eu des discussions avec l’ambassadeur du Mali en Algérie. Toujours selon les responsables algériens, “ces discussions ne remettent pas en cause les principes de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l'unité nationale du Mali, la voie pacifique pour garantir la paix au Mali ainsi que la réconciliation (...) sans exclusion”.

Néanmoins, la junte dirigée par le colonel Assimi Goïta, chef de la junte malienne, a toujours montré du scepticisme face à l’accord d’Alger de 2015 qui remettait, selon lui, le caractère unitaire de l’armée malienne. Une posture qu’il avait clairement signifiée successivement à Ramtane Lamamra, alors ministre des Affaires étrangères, puis à son successeur, Ahmed Attaf, qui s’était rendu lui aussi à Bamako en avril 2023.

Guerre d’influence entre Algérie et Maroc sur fond de rivalité géopolitique

La prise de Kidal de la part de l’armée malienne (14 novembre) semble avoir reconfiguré la situation géo- politique dans le nord Mali et mis fin aux rêves autonomistes et indépendantistes d’une certaine frange radicale du CSP (Cadre Stratégique Permanent) composé de plusieurs groupes comme la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA) de tendance indépendantiste. La volonté de la junte d'étendre son contrôle sur toutes les grandes loca- lités du nord : Tessalit, Aguelhok et le risque d’une explosion de violence : opérations de harcèlement, d’embuscades et des IEDS pourraient entraîner un afflux de réfugiés à sa frontière avec le Mali.

Par ailleurs, l’Algérie est toujours préoccupée par une possible extension du conflit dans sa partie sud où vit une importante communauté touarègue. La présence à Bamako d’une junte au discours ultra-nationaliste pourrait ainsi relancer le conflit entre gouvernement central et tribus touaregs avec les risques d’un embrasement régional. Le 22 décembre, une frappe de drones de l’armée malienne a tué plusieurs chefs rebelles dont le colonel Hassane Ag Fagaga, un cadre du CSP à Tinzaouatène, à la frontière algérienne.

Pour Alger, l’accord de paix de 2015 demeure toujours le meilleur cadre pour ramener la paix dans le nord, car il permet de départager groupes rebelles et forces djihadistes liés à al-Qaïda ou au groupe État islamique au Sahel. La plupart des forces djihadistes sont les ramifications des groupes djihadistes comme la Groupe Islamique armée (GIA) ou le Groupe salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) qui ont essaimé en Algérie durant la décennie noire (1990-1999).

Contexte géopolitique très tendu

De ce fait, cette crise diplomatique entre Bamako et Alger inter- vient dans un contexte géopolitique très tendu. Selon plusieurs sources, la visite d’Abdoulaye Diop, chef de la diplomatie malienne au Maroc (22- 23 décembre), qualifiée par Alger d’acte hostile et la volonté du Royaume Chérifien de créer une alliance géopolitique et économique avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger inquiètent Alger soucieux de préserver sa zone d’influence dans le Sahel.

Le Maroc veut profiter de la perte d’influence française dans cette partie du Sahel et mettre fin à l’enclave- ment des pays sahéliens, en leur proposant l’accès à ses ports sur l’Atlantique. Une initiative qui a sus- cité l’irritation du gouvernement algérien qui craint un isolement géo- politique dans la région, notamment concernant la question de l’indépendance du Sahara occidental. Le gouvernement algérien accuse aussi le Maroc qui a normalisé ses relations avec Israël d’être l’exécutant d’un prétendu plan israélo-émirati visant à empêcher l’Algérie de prendre pied au Sahel.

En arrière-pensée, l’Algérie craint aussi que le Maroc cherche, à travers le renforcement de sa coopération avec les pays sahéliens, une reconnaissance diplomatique concernant sa souveraineté sur cette ancienne colonie espagnole.