NETTALI.COM - Athlète, basketteuse, judoka, Aminata Touré aappris l’art de faire face aux adversités les plus féroces. Ancienne militante de la Ligue communiste des travailleurs (LCT), directrice de campagne de Landing Savané en 1993,àl’âge de 31 ans, la “bourreau” de Karim Wade devra être endurante pour supporter les coups qui ne manqueront pas de venir de toutes parts : BBY, PDS, sans être assurée de pouvoir compter sur ses nouveaux coéquipiers de Yewwi Askan Wi, de l’ex-Pastef et de F24.

Elle a été révélée à la jeune génération en 2011-2012, à la veille de l'élection présidentielle. Ancienne directrice des Droits humains au Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), Aminata Touré décidait de tout abandonner pour répondre à l'appel de la patrie, dans un contexte de bouillonnement politique. Elle avait choisi de miser sur le candidat pour lequel peu d’analystes, pour ne pas dire aucun, prédisaient un destin présidentiel. Avec beaucoup d'humilité, elle précise : “Je dois dire que l’initiative était venue de moi. J’avais pris l’initiative de le contacter pour lui apporter mon soutien. Avant, je le connaissais très rapidement quand il était au PDS (Parti démocratique sénégalais). Une fois on s’était rencontré aux Nations Unies brièvement.” Désignée comme directrice de campagne, Mimi signait ainsi son come-back dans l’arène politique sénégalaise, après plusieurs années passées dans le système des Nations Unies, où elle a occupé différents postes, de la base jusqu’aux sommets, en tant que directrice du Département des droits humains. En effet, même si, pour la nouvelle génération, elle peut paraitre une illustre inconnue, Mimi est loin d’être une novice. En 1993 déjà, alors qu’elle avait seulement 31 ans, elle était directrice de campagne du candidat d’AJ/PADS, Landing Savane. Pour une femme, c'était déjà une prouesse dans le Sénégal de l'époque. Nostalgique, elle revient sur cette étape décisive dans son parcours politique.

“En 2012, c’était, en effet, la deuxième fois que je faisais office de directrice de campagne. Je l’ai été pour la première fois avec Landing Savané qui, comme vous le savez, est un maoïste. J’avais à l’époque 31 ans”. En fait, Mimi était déjà une politicienne aguerrie, forgée dans la bonne vieille école de la gauche sénégalaise. C'est dans les années 1970, alors qu'elle avait à peine 14 ans, que la petite Aminata commençait son apprentissage de la politique. D’un père médecin et d’une mère sage-femme, elle a commencé à nourrir cette fibre militante en classe de 4e, grâce notamment au contact avec son professeur d’histoire et géographie Ibrahima Diagne. Y avait-il quelque chose qui la prédestinait à la chose politique ? Elle rapporte : “Peut-être. J’ai toujours eu une aversion pour l’injustice. C’est ma nature. Et dès que j’ai rencontré le cadre intellectuel adéquat, je m’y suis intéressée. Avec mon professeur d’HG, on a été initié aux grandes luttes de l’émancipation – ça faisait partie du programme. L’histoire des révolutions m’a tout de suite passionnée.” Avant AJ, elle a été dans la très peu connue Ligue communiste des travailleurs (LCT), fondée en octobre 1976, devenue Mouvement pour le socialisme et l’unité (MSU) et qui fusionnera en 1988 avec le Mouvement démocratique populaire (MDP) de Mamadou Dia. Avec la chute du Mur de Berlin en 1989, certains clivages gauchedroite ont disparu, mais le socle de l’engagement de l’ancienne PM est demeuré. Une vie de gauche qui semble la différencier fondamentalement de ses camarades de l’APR, dont la plupart sont issus surtout des flancs du PDS qui est un parti libéral. Le long du compagnonnage, Mimi rencontrera toutes sortes de difficultés, de crocs-en-jambe...

D’un air moqueur, elle déclare avec le sourire : “Je crois que l’APR est un cas spécifique qui mérite d’être étudié. Voilà des gens qui croient que faire de la politique, c’est combattre son frère de parti, pas l’adversaire qui est en face. Je pense qu’ils doivent retourner à l’école, pour être formés. Moi, je ne viens pas de cette tradition politique ; je viens d’une tradition de gauche, où la fraternité a un sens, où les débats sont contradictoires. Et de nos divergences naissent de grands accords qui nous permettent d’aller de l’avant. C’est comme ça que je conçois les choses”

Départ de l’APR

Pour autant, Mimi n’accepte pas d’avoir quitté l’APR de son plein gré. On l’a fait quitter parce qu’elle avait des divergences de points de vue. Un parti, pense-t-elle, “ce n’est pas l’armée, ce n’est pas l’embrigadement, surtout quand on est intellectuel. Ce n’est pas parce que le chef a dit quelque chose que tout le monde doit être d’accord et que personne ne dépasse… Je n’ai vraiment pas la même perception”, peste-t-elle avec toujours le même franc-parler. Sur la 3e candidature qui, à l’en croire, a été la contradiction de trop, à la base de son éviction de l’Assemblée nationale, Mimi est convaincue que c’est en partie grâce au combat qu’elle y a consacré avec les Sénégalais que Macky Sall y a finalement renoncé, mais il avait la ferme intention de se représenter. Avez-vous alors été agréablement surprise le 3 juillet (lors de la déclaration de non-candidature) ? Elle : “Non, aucun sentiment particulier. J’ai juste été satisfaite d’avoir obtenu une victoire. La question n’aurait jamais dû se poser. Ensemble, nous avons combattu le troisième mandat de Wade en 2012. D’autant plus qu’il y a des gens qui ont perdu la vie dans ce combat.” À l’Alliance pour la République, le discours est tout autre. Mimi, en fait, aurait juste mal digéré son éviction. “En vérité, disait Farba Ngom sur le plateau de la 7TV, Mimi a même eu à défendre le deuxième quinquennat devant le président de la République, même si Macky Sall lui-même ne croyait pas en sa sincérité. À l’époque, elle lorgnait juste le poste. Je ne sais pas si sa position actuelle aurait été la même si on lui avait confié l’Assemblée nationale. Franchement, je ne saurais le dire”.

À propos de son engagement militant aux côtés du président de la République, Farba Ngom avait tenu à préciser : “Elle n’était pas venue mettre ses compétences gratuitement au service de Macky Sall. Elle travaillait et on la payait. Ce n’était pas un engagement gratuit, comme nous autres qui avons tout misé sans contrepartie… Je dois aussi dire qu’elle est une excellente stratège politique. Il faut la lui reconnaitre. Ce n’est pas parce qu’on a un différend que je ne vais pas lui reconnaitre ses qualités. Elle est fine stratège, elle est très courageuse et elle sait se battre.” À l’Alliance pour la République et à Benno Bokk Yaakaar, ce sont les hommes qui se couchent, c’est Mimi qui élève la voix, debout, droite dans ses bottes. Sportive dans l’âme, la SaloumSaloum a en effet appris à faire face aux adversités les plus féroces.

Athlète, basketteuse, judoka, elle a pratiqué plusieurs sports dans sa jeunesse. D’où peut-être elle tient son “fighting spirit”. Un brin provocateur, la militante des droits des femmes lance une pierre aux hommes : “Aucun de ces hommes n’avait osé dire la vérité au président Macky Sall (elle rit). Après avoir défendu partout que le président Macky Sall a droit à un 3e mandat, quand il a déclaré qu’il ne sera pas candidat, ils se sont mis à chanter ses louanges pour saluer la décision... Vous voyez comme les gens peuvent être versatiles ! Et c’est pour ces raisons que les gens ont une certaine perception négative de la chose politique”. Ministre de la Justice au début de la seconde alternance, Mimi devient très vite la coqueluche d’une bonne partie de l’opinion. Deux dossiers ont largement contribué à sa notoriété : affaire Karim Wade et affaire Hissène Habré. La dame de fer, par moments, fait même de l’ombre au président de la République. Se permettant parfois de se désolidariser publiquement de certaines décisions rendues publiques par le porte-parole du gouvernement, à l’époque Abdou Latif Coulibaly. Dans un Sénégal où les populations étaient assoiffées de justice, Mimi tenait ainsi le bon bout. Contraint, pressé de toutes parts, Macky Sall finit par arbitrer en faveur de sa ministre de la Justice ; un grand camouflet pour le porte-parole de son gouvernement désavoué.

Aujourd’hui encore, Mme Touré persiste et signe : “Si c’était aujourd’hui, je serais encore aussi radicale. On ne doit pas transiger pour des infractions sur des deniers publics. Pourquoi nos jeunes prennent la mer par centaines, voire par milliers, c’est parce qu’ils n’ont aucune perspective économique sur leur avenir. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de perspectives, parce qu’il n’y a pas de ressources… Le gros problème de l’Afrique, c’est la corruption et c’est ce qui est à l’origine de beaucoup de nos maux. Et si on considère que c’est le plus gros problème, il faut y apporter des solutions appropriées. Mais ça n’a rien de personnel.”

Croisade contre la mal gouvernance

Paradoxalement, Mimi défenseure de la justice dans l’affaire Karim Wade qu’elle a conduite de main de maitre, aphone sur l’exclusion de Khalifa et de Karim lors de la Présidentielle de 2019, enfile aujourd’hui la robe pour défendre avec véhémence Ousmane Sonko, n’hésite pas à charger la justice et s’érige en bouclier contre l’exclusion de candidats. À ceux qui seraient tentés de l’accuser de changer de discours par pur opportunisme, elle rétorque : “Les chefs d’accusation ne sont pas les mêmes. Il ne faut pas non plus mélanger les serviettes et les torchons. Les faits sont différents… Dans cette affaire (Karim Wade), il ne s’est pas agi d’instrumentalisation de la justice. Les gens ont été traduits en justice pour des faits bien précis.” L’ancienne ministre de la Justice d’ajouter : “Encore une fois, ça n’a jamais été personnel ; c’est le PDS qui a voulu en faire un faux argument parce qu’ils sont allés se réconcilier avec le président Macky Sall. Il fallait bien qu’ils servent un argument à leurs militants qui sont des opposants radicaux depuis toujours. Une fois qu’ils ont fait leurs arrangements en haut, il fallait bien trouver des alibis.”

Au Parti démocratique sénégalais, ce discours a du mal à prospérer. Pour les partisans de Karim Wade, il ne fait l’ombre d’un doute que Mimi s’est impliquée personnellement pour faire mal à Karim en instrumentalisant l’institution judiciaire. “Vous savez, quand on a perdu le pouvoir, le président Macky Sall avait lancé tous les corps de contrôle pour fouiller la gestion de Karim, mais ces derniers n’ont rien trouvé. Madame Aminata Touré est venue dépoussiérer la Crei pour pouvoir atteindre Karim Wade et le PDS. Elle s’est personnellement impliquée pour nous faire mal. Et c’était pour sa promotion personnelle. Nous qui l’avons vécu dans notre chair, nous savons quel rôle elle a eu à jouer dans cette affaire”, se défendait dans “EnQuête” la responsable de la communication du PDS, Nafissatou Diallo, suite à l’approbation de la destitution d’Aminata Touré de son poste de député. Une chose est sûre, Mme Touré était ainsi devenue, grâce à ce dossier (Karim Wade), scrutée aussi bien sur le plan national qu’international, l’un des personnages les plus importants du régime. À la fois puissante et gênante, elle était également forte du soutien populaire des Sénégalais. À tel enseigne que certains avaient déjà vu sa promotion comme Première ministre comme un cadeau empoisonné pour mieux l’abattre.