NETTALI.COM - Le chef de l’Etat doit annoncer en début de semaine prochaine s’il sera candidat à l’élection de février 2024. Seule une poignée de proches est dans la confidence.

En ce samedi 24 juin, des rires pincés fusent de la salle des Banquets au palais présidentiel. Face à un parterre d’élus de son camp, de personnalités de la société civile et d’une poignée d’opposants, venus assister à la clôture du dialogue national, Macky Sall multiplie les piques taquines. Ses détracteurs le décrivent comme « brutal », « impassible » ; il s’affiche serein et chaleureux. Cette humeur badine surprend certains invités qui y voient le signe tant attendu. Le président du Sénégal aurait enfin tranché la question qui taraude le pays depuis quatre ans. Va-t-il briguer un troisième mandat comme le soupçonnent ses opposants et le réclament ses soutiens ?

Brouiller les pistes sur ses réelles intentions pour 2024, Macky Sall semble en avoir fait un talent. A un partisan au fond de la salle qui l’implore de se représenter, le chef de l’Etat esquive une nouvelle fois : « Je vais répondre parce que le moment est venu pour le faire, mais ce n’est pas aujourd’hui. »

En mars, dans une interview à l’hebdomadaire français L’Express, il a estimé sa candidature plausible, car « sur le plan juridique, le débat est tranché depuis longtemps », son premier mandat de sept ans étant « hors de portée de la réforme » du référendum constitutionnel de 2016. Il laisse ainsi le soin au Conseil constitutionnel de trancher ce débat « politique ».

A Paris, il y a quelques jours, il a relancé les spéculations dans un discours en clair-obscur. « Ce que je peux vous promettre, c’est que grâce à notre travail nous nous maintiendrons au pouvoir avec la volonté du peuple sénégalais », a-t-il lancé à des militants survoltés de sa coalition Benno Bokk Yakaar. « Le français est une langue de nuance, ironise l’un de ses conseillers. Ce “nous” peut englober tout notre camp, car il doit continuer à gérer le pays après 2024. »

Un front du refus

Une ligne confuse qui s’avère coûteuse pour le pays. Les violences qui ont ébranlé Dakar et Ziguinchor en mars 2021 et en juin 2023 – dans le sillage des affaires judiciaires de son opposant numéro un, Ousmane Sonko – portent également en elles un front du refus d’un troisième mandat. Une hostilité d’autant plus forte que le président sénégalais s’était engagé à s’en tenir à deux mandats consécutifs.

« Il a changé d’avis car les circonstances ont évolué », justifie Abdou Karim Fofana, porte-parole du gouvernement. « Le pays est menacé par ceux qui veulent anéantir notre République. A ces personnes qui refusent le dialogue et ne connaissent que la violence, on ne peut laisser le pays », assume-t-il.

La théorie de l’homme providentiel se télescope néanmoins avec l’idée d’un scénario écrit à l’avance, dès le début du second mandat, pour se maintenir au pouvoir en 2024.  « Dès 2019, Macky Sall a posé des actes forts qui menaient immanquablement vers cette troisième candidature illégale », analyse Maurice Soudieck Dione, professeur agrégé de sciences politiques à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis.

« Il a d’abord supprimé le poste de premier ministre [avant de le rétablir vingt mois après], mesure qui ne figurait pas dans son programme. Il a évincé tous les présidentiables de son camp et a rallié son premier opposant, Idrissa Seck, arrivé deuxième en 2019. L’idée était de neutraliser ceux qui auraient pu porter la charge contre un troisième mandat. Mais son plan a été remis en cause par les violences de mars 2021 et juin 2023 qui ont contrecarré ses plans pour 2024 », souligne-t-il.

Maintenir son camp en ordre de bataille

Néanmoins, dans son entourage, certains refusent de croire qu’il franchira le pas. « Cette histoire de troisième mandat est un malentendu monté en épingle par la presse et l’opposition. Celle-ci s’est d’ailleurs organisée en plate-forme rien que sur cette base. Pourtant, personne n’a jamais rapporté de confidences du président sur le sujet », affirme l’un de ses conseillers, opposé à une nouvelle candidature.

Reste que le président fait durer le suspense. Prévue pour avant la fête de la Tabaski, qui a eu lieu le 28 juin, l’annonce a finalement été repoussée début juillet. « On dit que le matin il se lève en étant convaincu d’y aller, le soir il se couche en voulant y renoncer », raille un opposant. Mais désormais, son choix serait arrêté. Seule une poignée de proches, dont son épouse et un conseiller qui ne figure pas dans le protocole, connaîtrait sa décision. Il doit l’annoncer en début de semaine prochaine.

Ce secret savamment préservé a également une finalité politique. Celle de maintenir son camp en ordre de bataille. « Le silence crée une qualité d’écoute, philosophe un collaborateur au palais. Si le président avait annoncé qu’il ne se représenterait pas, plus personne n’aurait travaillé dans sa famille politique. Cela aurait bloqué le pays et nous aurait maintenus dans un état de campagne permanente. » Un renoncement du chef d’Etat pourrait lancer une guerre fratricide. Déjà, les appétits s’aiguisent en coulisses. Et les coups pleuvent.

Quelle va être la réaction de la rue ?

« A l’APR [Alliance pour la République], le consensus est que Macky Sall est notre candidat. C’est le seul à avoir l’expertise nécessaire. Mais il y a des lâches qui tentent d’alimenter l’idée d’une alternative au sein de notre camp. Ils seront traités comme il le faut », menace Mame Mbaye Niang, ministre du tourisme et proche du président.

Parmi les noms qui émergent figure en tête celui du discret premier ministre, Amadou Ba. Cet ancien ministre de l’économie et des affaires étrangères a un temps été pressenti pour prendre la suite de Macky Sall. Mais l’ancien inspecteur des impôts manque de popularité au sein de la majorité présidentielle.

« La coalition est un instrument créé au service des ambitions de Macky Sall. Il a fait en sorte de la maintenir sous sa coupe. S’il renonce à se représenter, personne d’autre ne pourra la garder unie. Par ailleurs, on ne prépare pas un successeur à une présidentielle en sept mois », estime Maurice Soudieck Dione. Ses détracteurs le soupçonnent par ailleurs d’avoir choisi ses opposants les moins dangereux – Karim Wade et Khalifa Sall qui, suite à leur participation au dialogue national, pourraient voir leur inéligibilité levée – et écarté son plus sérieux challenger, Ousmane Sonko.

Autre élément qui entre en jeu, l’entrée à venir du Sénégal dans le cercle des pays producteurs de pétrole et de gaz. « Une partie de son entourage, qui s’est grassement enrichie pendant ces douze ans, ne compte pas laisser passer cette manne financière. Elle craint par ailleurs d’être poursuivie en cas d’alternance, tance sous couvert d’anonymat un homme d’affaires. Macky Sall est otage de son entourage. Il doit partir par la grande porte et se féliciter de son parcours hors norme. Car, malgré ses origines modestes, il s’est hissé au sommet de l’Etat. Que veut-il de plus ? »

Demeure une inconnue. Si le président sortant décide de se représenter, quelle va être la réaction de la rue ? « Le risque de confrontation est important. Si Ousmane Sonko, le candidat de cette jeunesse démunie est arrêté, et que Macky Sall se porte candidat, cela augure d’un cocktail explosif. Et ce d’autant plus qu’il aura face à lui des opposants plus consensuels qui ne parlent pas à ces jeunes », avertit Maurice Soudieck Dione.