NETTALI.COM - Au cours des derniers mois, la dualité Macky Sall-Ousmane Sonko a servi de trame au jeu politique, à dix mois de l’élection présidentielle. Le président de la République est attendu sur la question du troisième mandat, alors que l’opposant a perdu son bras de fer avec l’État, au sujet de sa comparution devant les juridictions. En prenant l’initiative de jeter des ponts entre ces deux parties pour amorcer un dialogue, Idrissa Seck règle aussi une équation personnelle : son propre retour au premier plan.

C’ est loin des caméras et les portables éteints que se joue une partie à trois, dont l’issue va peser sur l’élection présidentielle de février prochain. L’accalmie observée lors des journées entourant le 4 avril, au mi-temps du mois de ramadan et à la veille de Pâques, a été un terrain propice pour établir des ponts entre protagonistes majeurs du jeu politique et envisager des perspectives plus sereines que les rudes confrontations verbales et émeutières qui ont émaillé le mois de mars dernier, avec en toile de fond les suites de la condamnation en première instance du leader de Pastef, Ousmane Sonko, dans l’affaire de diffamation qui l’oppose au ministre du Tourisme Mame Mbaye Niang. Accalmie relative d’ailleurs avec le flot de dossiers judiciaires ouverts contre des militants de l’opposition et des activistes, la plupart pour divers délits ayant trait à l’offense au chef de l’État, à la diffusion de fausses nouvelles et même d’atteinte à la sûreté de l’État. Mais l’initiative de renouer le dialogue entre le pouvoir et l’opposition a bien eu lieu, avec Idrissa Seck à la manœuvre.

Dans les faits, l’ancien Premier ministre et candidat une quatrième fois à la présidence de la République (2007, 2012 et 2019) tient ici le beau rôle : plus qu’un intermédiaire, c’est la partition du rassembleur, “le plus conscient des enjeux”, celui qui incarne la paix et la sagesse que joue “Mara”. Il revient sur scène, laisse entendre que le président Macky Sall a été informé de sa volonté de prendre langue avec Ousmane Sonko, tout en ranimant son parti atone depuis des mois, même si cela lui a valu de découvrir que son “poulain” le ministre Yankhoba Diattara a pris de la bouteille. Ce dernier a, en effet, évité “le syndrome du numéro deux” de Rewmi, en proposant à Idrissa Seck sa démission du gouvernement, après que son mentor lui a fait savoir sa désapprobation après ses déclarations télévisées accordant à Macky Sall la possibilité de briguer à nouveau le suffrage de ses compatriotes. Le président du Conseil économique, social et environnemental, de même que son parti, n’a pas démenti la révélation de la visite nocturne qu’il a effectuée au domicile d’Ousmane Sonko, il y a quelques jours.

Pour ajouter des éléments de preuve, la presse a rapporté que les deux leaders ont effectué la prière de l’aube ensemble. Il faut dire que les deux hommes entretiennent des relations cordiales. Lors de la campagne électorale pour la Présidentielle de 2019, Ousmane Sonko avait tenu à rendre visite à son “grand frère”, lors de son étape de Ziguinchor, alors que tous deux étaient en lice. Et quand Idrissa Seck a rejoint la majorité présidentielle, le leader de Pastef ne l’a brocardé pas comme il l’aurait fait avec tout autre responsable politique en “mobilité politique”, pour ne pas dire “transhumance”. Aucun démenti n’est venu de Pastef sur la rencontre à la cité Keur Gorgui. Il est probable donc que le propos du chef de l’État appelant au dialogue, lors de son discours à la Nation du 3 avril dernier, soit un élément ajouté aux échanges Sonko-Idy, confirmant la résolution à décrisper l’atmosphère, tant l’impasse paraît certaine si, d’un côté comme de l’autre, les positions restent figées. Mais que peut bien négocier Idrissa Seck dans le contexte actuel ? Son discours aurait porté sur la nécessité, pour Ousmane Sonko, de changer de gamme dans le discours, de le rendre moins violent et plus “républicain”, dans la dynamique d’organiser un scrutin apaisé en 2024. Selon les rares échos de la rencontre, généralement émis par les soutiens de l’opposant, Ousmane Sonko aurait rappelé les “préalables” à son engagement dans tout dialogue : que le président Macky Sall ne se présente pas, que les “détenus politiques” soient libérés et que ses dossiers en cours devant les tribunaux soient mis sous le boisseau, car relevant de “cabales politiques”. Rien que ça !

Sonko contre l’État

Naturellement, du côté de la majorité Benno Bokk Yaakaar, on rit sous cape. “C’est un secret de polichinelle que les gens discutent. Khalifa Sall et Barthélemy Dias sont de vrais opposants, mais ils savent qu’en démocratie et surtout au Sénégal, la discussion est la règle, après ce qu’on vend à la presse et à l’opinion. Et donc, en gens civilisés (sic) on se parle”, résume un conseiller à la présidence de la République. Le camp présidentiel surfe actuellement sur les avantages qu’elle a à voir Ousmane Sonko entamer son biathlon judiciaire.

Deux procès l’empêchent actuellement de maîtriser son agenda et de poser des actes forts en vue du prochain scrutin, malgré sa popularité. En effet, l’opposant a été condamné, le jeudi 30 mars, à deux mois de prison avec sursis et à verser à Mame Mbaye Niang des dommages et intérêts d’un montant de 200 millions F CFA par le tribunal correctionnel de Dakar. Cette peine n’hypothèque pas les chances du président de Pastef de se porter candidat. Mais en mode “Fast track”, le parquet a interjeté appel et l’affaire devrait faire l’objet d’un procès en seconde instance sous peu. Deuxième épreuve, son procès avec la dame Adji Sarr qui l’accuse de “viols et de menaces de mort” dans le salon de massage Sweet Beauté en février 2021, en plein couvre-feu, alors que la pandémie du Covid-19 faisait rage.

L’enjeu de ces deux dossiers est l’inéligibilité d’Ousmane Sonko… Au cours des derniers mois, le jeu politique sénégalais a eu la dualité Macky Sall-Ousmane Sonko comme trame. Le premier traîne comme un fardeau la question du troisième mandat, alors que l’opposant a perdu son bras de fer avec l’État au sujet de sa comparution devant les juridictions. Paradoxalement, alors que leur participation au scrutin reste improbable, ils occupaient jusqu’ici l’espace politique et ses avatars médiatiques, au point de larguer dans l’arrière-scène les autres cadors qui se préparent. Le pouvoir, jouant sur les fautes de parole d’Ousmane Sonko, a transformé le combat de l’opposant contre Macky Sall en une autre confrontation, celle-là entre Pastef et l’État. Les défiances portées à bout incandescent contre les institutions (“le pouvoir de Macky ne peut pas résister à trois jours de manifestations”, dixit le maire de Ziguinchor en meeting au terrain Acapes des Parcelles-Assainies), les attaques contre la justice et le patron de la gendarmerie, les bravades contre les forces de défense et de sécurité, les troubles occasionnés par ses partisans lors de ses déplacements ont fait réagir l’appareil d’État mis en position de réaffirmer son autorité.

Au slogan “gatsa-gatsa” (œil pour œil, dent pour dent) des sympathisants de Pastef, la réaction des gestionnaires de la puissance régalienne a vu l’opposant finir à la clinique Suma Assistance pour des soins de santé, des responsables de son parti mis sous bracelet électronique après leur inculpation, des dizaines de ses militants derrière les verrous. Les forces de l’ordre ont démontré qu’elles étaient en mesure d’imposer à Ousmane Sonko son itinéraire, de lui interdire de sortir de son domicile au mépris de toute décision judiciaire, de le mettre dans le véhicule de leur choix. Et de le maintenir en quasi-confinement. Cette bipolarisation des extrêmes n’augurait rien de bon, d’autant que le pouvoir de Macky Sall n’a pas de raisons objectives de desserrer son étau. C’est cette tendance lourde que le patron de “Rewmi” vient interrompre. En se posant comme interlocuteur fiable auprès des deux parties, Idrissa Seck règle aussi une équation personnelle : son retour sur scène. Trop de divergences opposent le président de la République à son opposant pour que de simples contacts suivis et menés par Idrissa Seck bouleversent la stratégie du pouvoir. Et d’ailleurs, Idrissa Seck a un chantier autrement plus important : sera-t-il oui ou non le candidat de Benno Bokk Yaakaar en février 2024, comme son allié le lui aurait promis ?