NETTALI.COM -  Le ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement ne s’imaginait pas s’offrir une polémique, en exhibant les chiffres de l’exploitation du premier trimestre du Train express régional (TER). Depuis la sortie de Mansour Faye, se pose le débat sur la rentabilité d’une infrastructure que même le temps n’accorde aucun répit.

Parmi les projets phares de la présidence du chef de l’État Macky Sall, le Train express régional (TER) n’en finit plus de susciter débats et controverses. Le coût de sa conception, le montage financier, l’effectivité de sa mise en service, la pertinence de ce projet et maintenant la rentabilité de cet investissement. Chaque débat autour de cette infrastructure publique déchaîne les passions et donne lieu à la controverse politique.

Cent jours après la mise en service de ce train d’un genre nouveau en Afrique de l’Ouest, le ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement s’est fait un malin plaisir d’exhiber les chiffres de l’exploitation du TER à la figure de ses plus grands détracteurs. Mansour Faye de révéler qu’en un peu plus de trois mois, “au moins 5 millions de passagers’’ ont emprunté, avec satisfaction, en termes de gain de temps et d’économie, les wagons ultramodernes du train à grande vitesse de Dakar.

La satisfaction du maire de SaintLouis ne s’arrête pas là, puisque sur le plan des recettes, poursuit-il, “le TER a généré 3 milliards F CFA. Et les perspectives s’annoncent prometteuses, d’autant plus que sur les 15 trains qui sont disponibles, trois autres seront mis en marche prochainement. Avec la seconde phase, nous aurons 22 trains pour aller jusqu’à l’AIBD’’. Tout cela pour dire qu’en fin de compte, “le défi a été relevé par l’État du Sénégal, ce qui fait que ceux qui critiquaient, hier, le TER, en font l’éloge aujourd’hui. Au-delà des railleries politiques ou plutôt politiciennes qui ont découlé de cette intervention de l’autorité politique, c’est plus le débat d’experts économistes qui interpelle sur ce nouveau volet de la saga des polémiques autour du TER. Car la voix d’un docteur en sciences économiques est plus qu’audible lorsqu’elle s’exprime sur le sujet. D’autant plus qu’elle a pris, la semaine dernière, le contrepied de l’autorité sur les chiffres prometteurs du nouveau moyen de transport à Dakar. Le Dr Khadim Bamba Diagne a secoué la République, en assurant que le luxueux train du chef de l’État ne sera jamais rentable pour le Sénégal, comme le prétend le gouvernement.

De 115 000 passagers par jour à 25 000 voyageurs journaliers…

Dans un post sur les réseaux sociaux, chiffres à l’appui, l’enseignant-chercheur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) démontre que les 5 millions de passagers évoqués par le ministre peuvent être ramenés à 2,5, si l’on considère qu’il s’agit de billets aller et retour, ce qui correspond à 25 000 passagers journaliers en 100 jours d’exploitation du TER. Toujours selon sa logique, “on va dépenser 50 milliards par an pour ces 25 000 passagers soit (50 milliards/25 000) = 2 millions de F CFA par passager. Et au même moment, l’État doit secourir 542 956 ménages vulnérables avec 43 milliards, soit 80 000 F CFA par ménage’’.

Un autre économiste est d’un avis différent. À commencer par la nécessité de tenir un tel débat maintenant. Un peu plus d’un trimestre après la mise en service du TER. S’il est normal que les citoyens s’interrogent sur l’action publique pour un exercice de transparence et de redevabilité, la vraie pertinence serait, pour Moubarack Lo, de poser le débat de la rentabilité du train express, quand cela.

va s’imposer. Car “pour une infrastructure qui vient de démarrer, c’est un peu prématuré d’estimer des taux de rentabilité’’.

Le TER, un volet du Plan Sénégal émergent (PSE), a été mis en service le 27 décembre 2021, après cinq ans de travaux pour un investissement officiel de 780 milliards de F CFA. Il ambitionne de transporter 115 000 personnes par jour, une fois son rythme de croisière atteint. Si l’on est encore loin de ces chiffres avec la sortie du ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement (5 millions de passagers en 100 jours correspondent à 50 000 passagers journaliers), le directeur général du Bureau de prospective économique (BPE) estime que les investissements produisent leurs effets sur la durée. Comme avec l’autoroute à péage qui a fait son temps pour que les automobilistes acceptent de le fréquenter avec engouement.

“C’est un peu prématuré d’estimer des taux de rentabilité’’

Une fois que le temps fera son effet et que le débat s'impose, le spécialiste est d’avis qu’une infrastructure du type du TER devra s’évaluer sur plusieurs aspects. Car, sur le plan financier, “tout dépendra de la durée de vie du TER (rails, wagons, etc.). Compter aussi les investissements de maintenance et de renouvellement. Plus la demande de voyages sur le TER va être importante (accroissement de la population et du parc automobile), plus l’on verra de nouveau comportement de voyageurs qui seront attirés par le TER’’, pour peutêtre atteindre les objectifs annoncés par les concepteurs du projet.

Mais la rentabilité financière est un aspect parmi tant d’autres. “Et ce n’est pas forcément l’aspect le plus important, sauf lorsqu’il s’agit d’une dette’’. Pour mesurer l’efficacité du TER, Moubarack Lo ratisse large, sur toute la gamme de services et d’opportunités qu’offre l’infrastructure. L’ingénieur statisticien-économiste fait remarquer la rentabilité économique avec des effets directs et indirects sur le tissu économique : “Cela peut générer des flux d’investissements et d’activités qui n’existaient pas avant l’infrastructure. Cela peut également réduire des coûts qui empêchaient l’économie d’être compétitive.’’

Une autre mesure que l’économiste fait de la rentabilité du TER, est la satisfaction de la demande sociale. Car, assure-t-il, le but de l’action du gouvernement est d’assurer une qualité de vie aux populations, de leur permettre de se sentir heureux. Des considérations difficilement mesurables qu’il faut prendre en compte pour mesurer la rentabilité d’un investissement public.

Malgré son utilité certaine, le TER ne sera qu’un élément dans un ensemble destiné à améliorer les conditions de vie des Sénégalais. Et à vrai dire, Moubarack Lô estime qu’il ne pourra jamais résoudre tous les problèmes d’embouteillage de la capitale sénégalaise. Ni la trajectoire ni la capacité ne peuvent satisfaire la demande de transport. “En plus, les tarifs sont relativement élevés ; 1 500 F CFA représente la moitié de la dépense quotidienne moyenne d’un ménage sénégalais. Mais il pourra toujours réduire le flux de véhicules particuliers et ces populations pourront diminuer leur consommation en carburant et aller plus vite. Et le BRT va arriver en appui. Il faudra le prolonger aussi jusqu’à Diamniadio, pour avoir un vrai système de transport multimodal’’, estime le directeur du BPE.

(Avec Enquête)