CONTRIBUTION - Je me permets de contribuer au débat suscité par la publication des premiers résultats du TER.
Au delà de la confrontation des chiffres et des idées sur la rentabilité du TER, je pense que nous devons faire une introspection individuelle et collective sur la gouvernance de nos entreprises et organisations aussi bien publiques que privées.
La Nation sénégalaise s’est dotée d’une constitution pour mieux organiser et optimiser« la prise de décision collective » à travers les institutions de la République avec ses trois pouvoirs : Exécutif, Législatif et Judiciaire. Le Peuple, souverain, confie ainsi, la prise des décisions à ces Pouvoirs et leur alloue des moyens pour une satisfaction optimale de ses besoins de sécurité, de santé, d’éducation, en somme pour l’amélioration continue de « son niveau de vie », de « son bien être ».
Dès lors, la rareté voire l’insuffisance des ressources dont dispose notre Etat, nous impose le respect des exigences d’une bonne gouvernance, avec une gestion axée sur les résultats, à travers la planification, la mise en œuvre et le suivi évaluation des politiques et programmes publics.
Le Pouvoir exécutif doit ainsi s’assurer d’une utilisation optimale de nos ressources et d’une reddition des comptes publics sous le contrôle du Pouvoir législatif et du Pouvoir judiciaire à travers les Lois de Finance Initiale-Loi de Finance Rectificative (LFI-LFR) et Lois de Règlement (LR). Dans ce processus, la Cour des comptes et les institutions de contrôle (Inspection Générale d’Etat- IGE, Contrôle Financier - CF, Cours et Tribunaux) devraient assumer pleinement leurs responsabilités en toute indépendance du Pouvoir politique.
Dans ce processus, tous les citoyens, en particulier les Jeunes, ont une responsabilité dans le choix des Dirigeants et des Politiques, la participation à la mise en œuvre et le suivi-évaluation-contrôle des programmes de développement.
Il y’a un adage ouolof qui dit : « Bou vakhambandé guédé bakhawame booba ci mome la » soit « si les jeunes abandonnent leur champ (Leur PAYS), parcequ ‘accabaré par les mauvaises herbes, ils ne doivent s’en prendre qu’à eux mêmes ».
Les Acteurs du secteur privé (Patronat, Syndicat de travailleurs) doivent aussi assurer une bonne gouvernance de leur entreprise et organisation pour accompagner, contribuer et contrôler efficacement l’action publique. Nous devons ainsi disposer d’entreprises « champions nationaux » qui puissent rivaliser avec les sociétés étrangères. Ces entreprises sénégalaises (championnes) doivent aussi bénéficier de l’accompagnement et de la protection de l’État.
Ce qui ne peut se réaliser qu’à travers des organisations fortes dont le poids ne se mesure qu’ à travers des manifestations mondaines (festives) mais à travers la contribution effective à la création d’emplois décents et de valeur ajoutée. Cela implique un regroupement des organisations patronales et syndicales pour créer des entités viables et crédibles comme contre-pouvoir face à l’État.
Les Partis politiques, de leur côté, gagneraient aussi à se regrouper en « grand ensemble » pour mieux s’exprimer et contribuer à la prise de décision collective à travers une meilleure représentation à l’Assemblée nationale et les collectivités territoriales. L’émiettement des Partis politiques avec un trop grand nombre (plus de 300) résultent plus d’un manque de démocratie interne et au non respect des impératifs de gestion codifiés par la loi (dont, entre autres, absence de comptes de gestion et de tenue régulière de congrès).
Revenons, à l’exploitation du TER dont les résultats après 3 mois d’exploitation augure « d’une rentabilité de 12 % ».
1/4

D’abord avant d’analyser financièrement ces chiffres, ce débat m’autorise à poser trois autres questions fondamentales :
- Quel est le processus de prise des décisions d’investissement public?
La prise de décision d’investissement doit répondre à plusieurs critères dont : la rentabilité, l’équilibre financier, la croissance et le risque.
Pour les investissements publics, il y’a aussi l’implication des acteurs publics (notamment de l’assemblée nationale qui devrait voter toute décision d’investissement de matière contradictoire avec l’exécutif), des acteurs privés et de la société civile.
Tout choix devrait aussi s’opérer en confrontation avec un ou des investissements alternatifs procurant plus d’impacts pour l’économie et les citoyens (Quid du TER ou de la réhabilitation du chemin de fer à travers le Pays).
- Quel est le processus de mise en œuvre des investissements publics ?
Quelles sont les sources de financements : ressources propres et/ou empruntées qui permettent une meilleure optimisation du service de la dette (durée plus longue et taux d’intérêt plus faible);
Quelle forme de société d’exploitation : société nationale ou société privée dominée par les capitaux étrangers, multinationale dans le cadre de concession ou d’affermage ;
- Quelle est la répartition des revenus (chiffre d’affaires et résultats) générés par l’exploitation ?
L’exploitation de nos richesses devraient plus profiter au Peuple et aux générations futures. La constitution précise que « les ressources naturelles appartiennent au Peuble ».
Dans ce cadre la loi sur le contenu local me paraît comme une politique visant à maximiser le minimum des revenus tirés par les nationaux à partir de nos propres ressources qui profitent ainsi plus à l’étranger qu’à l’État et au Peuple.
La réflexion pour l’Afrique en général et pour le Sénégal en particulier serait comment faire pour explorer, exploiter et transformer nos ressources par nous mêmes (sociétés nationales), ou progressivement en partenariat gagnant-gagnant avec des sociétés privées à capitaux nationaux majoritaires.
L’analyse financière des résultats trimestriels du TER, commande la prudence car les chiffres avancés par les responsables sont provisoires et ne sont pas encore certifiés par les commissaires aux comptes.
Toutefois, il me parait important de distinguer quelques notions : profitablité, rentabilité et impacts (économique, social et environnemental).
La profitabilité mesure le résultat rapporté au chiffre d’affaires ; sous cet angle le taux de profitabilité annuel projeté serait de 12 % selon les responsables du TER.
La rentabilité avec le Taux de Rendement Interne (TRI) qui mesure le rendement prévisionnel de chaque franc investi en comparant les dépenses et les cash flows actualisés sur une longue période. Il y a aussi le délai de récupération des capitaux investis.
Selon l’APIX, « les études socio-économiques bouclées montrent que la Phase 1 (Dakar – Diamniadio) seule du projet atteint une très bonne rentabilité avec un TRI socio- économique compris entre 11,9 % et 14,9 % selon les scenarios avec un tarif Intermédiaire qui apporte des bénéfices importants pour la collectivité ».
2/4

Pour les impacts économique, social et environnemental, les effets devraient être mesurés au moins après cinq ans d’exploitation.
Pour l’APIX, « Le TER devrait participer à la résorption des embouteillages qui feraient perdre près de 100 milliards à l’économie par an et devrait contribuer à faire gagner 1,3 million d’heures aux automobilistes et entraîner une réduction de près de 19 000 tonnes de CO2 par an .
À cela s’ajoutent d’autres bienfaits. Les près de 10 000 emplois directs ou indirects qui auront été générés durant les phases de réalisation et d’exploitation du projet ».
Pour certains économistes, le TER « ne serait jamais rentable » car le service de la dette, très élevé, obérerait la rentabilité.
D’autres économistes estiment que les impacts du TER sont inestimables sur la mobilité, les gains de temps, de revenu et les effets positifs sur l’environnement.
Pour ma part, en attendant les résultats annuels certifiés :
- le calcul de tout taux de profitabilité ou de rentabilité doit intégrer la dotation aux amortissements qui reste un grand poste de « charges non décaissées » pour un investissement aussi lourd ; la dotation aux amortissements est réintégrée, avec le résultat net, pour donner le cash flow ou autofinancement ;
- le « service de la dette » comprend le remboursement en principal et les intérêts ; seuls ce dernier poste est pris en compte dans le calcul du résultat et de la profitabilité ;
- la mesure des impacts devrait être basée sur des études d’impacts économique, social et environnemental pour évaluer les niveaux des indicateurs quantitatifs et qualitatifs et analyser les écarts positifs ou négatifs.Toutefois, le ressenti de ces effets auprès des populations et usagers est factuel.
Ainsi, de manière simplifiée, le calcul du résultat prévisionnel pourrait être présenté comme suit :
+ chiffre d’affaires hors taxes
- charges d’exploitation (hors intérêts et amortissements)
- charges d’intérêts (hors remboursement du principal de la dette) + produits financiers (comptes courants et autres placements)
- dotation aux amortissements
= résultat d’exploitation
- impôt sur le résultat
= résultat net
+ dotation aux amortissements
= cash flow ou autofinancement (avant distribution de dividende)
NB : Je préfère ne pas mettre des données chiffrées que je ne maîtrise pas.
Au delà de ces considérations, la question fondamentale à poser reste : Comment optimiser les
investissements publics en Afrique pour qu’ils profitent plus aux populations, surtout aux jeunes ?
La manière d’y parvenir serait de « progresser par bonds » qualitatifs ou « leapfrog » en sautant plusieurs étapes pour parvenir plus rapidement à l’émergence de nos économies. Ce qui nécessite une forte volonté politique de nos dirigeants afin d’asseoir des politiques de développement endogènes basées sur l’intégration africaine.
3/4

Sur ce chemin de l’intégration, il est impératif d’optimiser les échanges à travers la ZELECAF et de créer une monnaie africaine, en passant par des monnaies sous régionales dont l’ECO pour les pays de la CEDEAO.
Ceux qui nous incombent ainsi à tous et à toutes, surtout aux Jeunes, est de labourer de notre mieux le Champ collectif qu’est l’Afrique en général et le Sénégal en particulier, au lieu de l’abandonner ou le mettre en jachère, pour espérer de bonnes récoltes pouvant nous nourrir et remplir nos greniers pour les générations futures.
Alassane SECK
Expert financier
Expert mandataire judiciaire