NETTALI.COM - Au moment où la majorité s’unit pour aller aux prochaines élections législatives, l’opposition reste minée par des égos surdimensionnés qui la condamnent à une dispersion, synonyme d’affaiblissement.

Si l’enjeu n’était que parlementaire, la désillusion aurait pu être assez grande pour l’opposition, minoritaire et divisée dans la plupart des départements. Mais pour les prochaines élections législatives, l’enjeu dépasse le simple choix des députés du peuple. Il s’agira, en effet, du dernier tour, avant la Présidentielle de 2024.

Pendant que le pouvoir se remobilise et prône l’unité, l’opposition, elle, se disperse et tend vers un éclatement en mille morceaux. A en croire le coordonnateur des non-alignés, Déthié Faye, par ailleurs dissident de Yewwi Askan Wi, les opposants risquent de le regretter amèrement. Il peste : “Ce qui s’est passé en 2017 risque de se reproduire en s’accentuant. En 2017, il y avait une seule coalition : Manko Taxawu Senegaal qui a fini par éclater en deux grandes coalitions. En son temps, nous avions alerté pour dire que cela risquait de déboucher sur un affaiblissement de l’opposition. La cohabitation n’était pas possible dans ces conditions.’’ Pour les élections à venir, craint Déthié Faye, la situation risque d’être encore plus compliquée, parce qu’il y aura beaucoup plus de coalitions. En effet, aux dernières élections territoriales, deux forces se détachaient nettement dans l’opposition : Yewwi Askan Wi et Wallu Senegaal du Parti démocratique sénégalais. Loin derrière, arrivaient des coalitions comme Gueum Sa Bopp. Pour les prochaines échéances, il faudrait peut-être compter, en plus de ces forces, sur une autre constituée de leaders d’envergure comme Thierno Alassane Sall, Dr Abdourahmane Diouf, Thierno Bocoum et le juge Dème. Tous promettent de faire cause commune aux prochaines joutes électorales. A côté, d’autres négociations sont en cours pour former d’autres entités au sein même de l’opposition. Encore que les deux principales forces (Yewwi et Wallu) n’ont pas encore réussi à consolider les acquis.

Si l’on en croit Déthié Faye, il ne faudrait surtout pas s’étonner qu’il y ait davantage d’implosion. Interpellé sur les difficultés à s’entendre à Yewwi, il déclare : “En me référant à ce qui s’est passé lors des Locales, j’imagine bien que les difficultés ne manqueront pas. Parce qu’il y a des acteurs politiques qui n’accepteront pas qu’on leur marche dessus, qu’on les écrase, qu’on les humilie pour s’imposer et donner l’impression qu’on a le monopole du savoir et la capacité de mobilisation. Si les gens continuent à mettre en avant les intérêts particuliers, partisans ou cryptopersonnels, ils connaitront beaucoup plus d’implosion.’’ Le coordonnateur des non-alignés d’avertir : “Il ne faudra pas, alors, en vouloir ni au peuple ni à la majorité qui, elle, a su tirer les leçons des Locales. Nous serons les seuls responsables, si on échoue à ces élections.’’

Ainsi, comme à leur habitude, dans les partis politiques, du pouvoir comme de l’opposition, l’on a du mal à reléguer au second plan les intérêts personnels, pour mettre en avant l’intérêt du Sénégal. “Les divergences et les égos ont fini par prendre le dessus’’, regrette le dissident de Yewwi qui est lui aussi en négociation pour voir sous quelle bannière participer aux prochaines échéances.

Aar Senegaal conteste la “dictature’’ et la pensée unique

C’était dans les laboratoires depuis quelques jours. Maintenant, la mayonnaise prend de plus en plus forme, si l’on en croit les échos qui nous parviennent sur la place publique. Après avoir déposé leur caution, hier, Thierno Alassane Sall et Cie ont rendu public le label à partir duquel ils comptent aller aux  prochaines Législatives. Il s’agit, en fait, d’Aar (Alternative pour une Assemblée de rupture) Senegaal, qui regroupe, entre autres, des profils assez intéressants comme Dr Abdourahmane Diouf, ancien Directeur général de la Sones, le juge Dème qui a démissionné de la magistrature pour contester la caporalisation de l’institution judiciaire, Thierno Bocoum, ancien député, et enfin l’ancien ministre Thierno Alassane Sall.

S’ils arrivent à gérer quelques égos jugés surdimensionnés par certains, cette nouvelle force pourrait grignoter sur l’électorat de Yewwi Askan Wi, avec laquelle elle partage pratiquement la même cible. Déjà, la nouvelle coalition se démarque. Sur le plateau de la 7TV, Thierno Alassane Sall, dans une allusion à peine voilée, déclare : “Il faut éviter de promouvoir les populistes. A l’image de Zelensky qui se laisse manipuler aujourd’hui par les Américains. C’est parce qu’il est un produit du populisme. Vedette de cinéma, on l’a fabriqué, propulsé, on lui a donné du buzz, personne n’osait plus lui dire la vérité. On a vu le résultat. Le Sénégal est aujourd’hui à ce niveau. Il faut se demander pourquoi on ne peut plus avoir un débat dans ce pays. On doit pouvoir débattre dans une démocratie. Pourquoi voulez-vous que tout le monde fasse acte d’allégeance à une partie ? Même dans les confréries, ça ne se passe pas comme ça. Comment voulez-vous que l’on fasse acte d’allégeance à des gens qui ne sont même pas des talibés accomplis pour prétendre être des marabouts !’’

A en croire l’ancien ministre de Macky Sall, leur objectif, ce n’est pas de diriger coûte que coûte. Leur but, c’est surtout de marquer de leur empreinte le Sénégal. “Nous, on ne cherche pas la masse pour chercher la masse. L’ambition, ce n’est pas d’être président de la République ou ministre. C’est de changer le Sénégal… Dans la vie, il faut se battre pour des convictions. Nous n’allons pas rejoindre un groupe juste parce qu’ils ont le vent en poupe, mais parce que nous avons les mêmes convictions’’, a-t-il insisté. Pendant ce temps, le PDS, lui, se voulait on ne peut plus réaliste, en voulant se rapprocher de la coalition majoritaire qu’est Yewwi Askan Wi. Mais dans les rangs de l’opposition, le pessimisme reste le sentiment le mieux partagé, quant à la faisabilité d’une telle alliance.

Risque de désenchantement des électeurs

Dans tous les cas, ces divisions au sein de l’opposition, quoique salutaire pour la diversité de l’espace politique, éloignent le Sénégal d’une possible cohabitation. Les élections qui étaient parties pour être celles de tous les risques pour le régime, peuvent se transformer en une promenade de santé. Pire, cela pourrait même être très mal vu par l’opinion. “A ce rythme, les Sénégalais finiront par en avoir marre des acteurs politiques, parce qu’ils comprendront qu’en réalité, quel que soit le camp où l’on se trouve, les acteurs mettent en avant leurs intérêts personnels et ceux de leurs partis respectifs au détriment des attentes du peuple sénégalais. Cela risque de créer un phénomène de rejet favorable à la mouvance présidentielle’’, fulmine Déthié Faye.

Raison pour laquelle, confie-t-il, il ne désespère pas de voir les acteurs de l’opposition revenir à la raison. “Je continue de croire qu’il n’est pas tard de se ressaisir, pour remettre tout sur la table, discuter et essayer de mettre sur pied une large coalition qui ne mette pas en avant les intérêts partisans et crypto-personnels. Faute de quoi, si demain la majorité actuelle remporte ces élections, il ne faudra en vouloir qu’à soi-même’’.

Si l’on se fie aux résultats des dernières élections locales, les différentes coalitions issues de l’opposition avaient réussi à gagner environ 10 départements, contre une trentaine pour les coalitions issues de la mouvance présidentielle. Si les mêmes résultats étaient reconduits pour les Législatives, l’opposition se retrouverait avec moins de 30 députés sur les 97 députés réservés aux circonscriptions de l’intérieur du pays. Encore que le nombre de départements gagnés aux Locales pourrait se retrouver largement diminué, compte tenu de la dynamique de retrouvailles dans le pouvoir et de celle de division dans le camp de l’opposition.

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