NETTALI.COM - Macky Sall avait déclaré qu’il ne briguerait pas un troisième mandat. Il avait dit, après sa victoire en 2019 qu’il était à son second et dernier mandat. Mais, il semble être dans une dynamique de changer d’avis. Les immenses ressources naturelles y sont pour quelque chose, d’après Alioune Tine. Dans un entretien accordé à WalfQuotidien et paru ce lundi, il se dit préoccuper par le fait que ces ressources soient depuis 2011 à la base de la volonté de briguer un troisième mandat au Sénégal». Extraits…

« Le président de la République lui-même l’a précisé à plusieurs reprises dans des interviews que ce mandat était le second et le dernier »

Le concept de troisième mandat ne figure dans aucune Constitution, donc le troisième mandat n’existe pas. En 2012, l’élection de Macky Sall contre Abdoulaye Wade était un référendum pour ou contre le troisième mandat et le peuple en éliminant le Président Wade a clairement indiqué, depuis lors, son option claire et nette pour la limitation des mandats à deux. Et c’est désormais inscrit dans la Constitution «nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs». Le président de la République lui-même l’a précisé à plusieurs reprises dans des interviews que ce mandat était le second et le dernier. Son conseiller juridique de l’époque Ismaïla Madior Fall, professeur agrégé de droit dont les compétences en matière de droit constitutionnel sont reconnues de tous, a dit et précisé à trois reprises dans une interview que «nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs». Ce que Ibrahima Sène a dit correspond à la réalité de ce dit la Constitution et de ce qu’appelle tout simplement le bon sens. En fait, le débat sur le troisième mandat après l’élection du Président Macky Sall en 2019, doit être clos et nous permettre de passer à autre chose.

« forcer un troisième mandat dans la sous-région est perçu comme un coup d’État électoral ou constitutionnel »

Au regard de la crise sécuritaire de notre sous-région, je pense qu’il faut envisager des réformes profondes du système de sécurité de nos pays qui sont mal préparés à faire face aux nouveaux défis et aux nouvelles menaces sécuritaires des groupes armés terroristes, des cyber-attaques et j’en passe. Aujourd’hui, il faut tirer les leçons de la faiblesse et de l’inadéquation des réponses sécuritaires de certains pays de la sous-région qui ont fait l’objet d’attaques djihadistes. Mais il faut inviter l’Etat du Sénégal à engager une réflexion collective avec tous les acteurs engagés de façon dynamique dans la réflexion sur ces questions. Cela dit, forcer un troisième mandat dans la sous-région est perçu comme un coup d’État électoral ou constitutionnel. Ces formes de coups d’Etat «cosmétiques» font souvent plus de morts, de blessés, d’arrestations et d’exilés forcés d’opposants politiques, de dissidents et d’activistes. Ces formes de coups d’Etat dont le troisième mandat inconstitutionnel sont définies aujourd’hui comme les coups d’Etat des «cols blancs» par la chaire Unesco qui engage une étude en profondeur sur la question. Ces coups d’État comme scénario du chaos et de la catastrophe aboutissent à des impasses et à l’instabilité politique totale comme en Côte d’Ivoire, à des guerres civiles larvées ou simplement à des coups d’État militaires comme en République de Guinée. Aujourd’hui, ces coups d’État des «cols blancs» qui s’appuient souvent sur la complicité et les dysfonctionnements d’institutions constitutionnelles ou électorales en décomposition doivent être bannis comme les coups d’État militaires et leurs auteurs sanctionnés comme les auteurs des coups d’État militaires. Ici, il faut souligner le courage des Cours constitutionnelles du Niger et du Bénin. En 2009, la Cour constitutionnelle du Niger présidée par Salifou Fatimata Bazeye, s’était courageusement opposée à la volonté farouche du Président Tandian de faire un troisième mandat avec la fameuse «Tazarché». Contrarié, Mamadou Tandian dissout la Cour et est renversé par un coup d’État militaire. Au Bénin, les présidents Kérékou et Yayi Boni voulaient tenter un troisième mandat mais avaient buté sur la résistance de la société civile et sur la décision de la Cour constitutionnelle. Dans une décision rendue le 20 novembre 2014, la Cour constitutionnelle s’est prononcée contre toute révision de la Constitution permettant au président béninois, Thomas Boni Yayi, de briguer un troisième mandat en 2016. Aujourd’hui, quand on se réfère à des pays anglophones comme le Malawi et le Kenya, les juges constitutionnels  prennent des décisions courageuses pour réguler et apaiser la démocratie en annulant des élections qu’ils estiment frauduleuses et qui avaient été remportées par les Présidents sortants. Si nous avons des juges constitutionnels indépendants et courageux, cela peut nous éviter des violences inutiles créées par des présidents accros au pouvoir et qui sont prêts à tout pour le conserver.

« il y a une accumulation de signes… à penser qu’il existe des intentions et des envies de troisième mandat »

Il est évident qu’au Sénégal, il y a une accumulation de signes, de faits, de pratiques politiques très préoccupantes, souvent absurdes qui donnent à lire ou à penser qu’il existe des intentions et des envies de troisième mandat. Je pense que parmi ces pratiques la plus inquiétante c’est l’émergence du nouveau paradigme politique « Adji Sarr/Sonko», qui révèle avec une grave inquiétude qu’on est entré dans une profonde régression du débat politique qui se résume de plus en plus à des attaques en dessous de la ceinture et au ras des pâquerettes naines. Débat où tous les coups sont bons pour détruire son adversaire politique, pour le tuer et ruiner définitivement sa carrière parce que tout simplement c’est un prétendant sérieux au pouvoir suprême. A mon avis, parmi les tensions les plus inquiétantes de nos systèmes démocratiques en Afrique, figure la «criminalisation de l’opposition», de la dissidence politique et la volonté politique de son éjection de toute prétention à la conquête du pouvoir. On ne peut avoir de démocratie apaisée tant que nos systèmes politiques n’auront pas résorbé cette perversion qui produit de plus en plus de la haine, de l’hostilité et de la violence. (…)Le paradigme Adji Sarr/Sonko, est un écran de fumée qui permet de cacher les véritables enjeux du futur au Sénégal : les enjeux liés aux ressources minérales immenses dans ce pays et qui en réalité ont paradoxalement et aveuglement pollué notre système démocratique. On ne mesure pas assez la volonté inébranlable d’une certaine élite de vouloir contrôler coûte que coûte cette manne en contrôlant le pouvoir. Qui parle et qui fait des investigations sur le scandale de la gestion du pétrole au Sénégal ? Si nous arrivons à réguler et à gérer dans la plus grande transparence et l’équité nos ressources minérales et à les protéger contre les prédateurs internes et externes nous aurons également fait un pas dans le renforcement de notre démocratie et de notre gouvernance.