NETTALI.COM-Shamharouz, Maimouna, Asma Ubahdati, Kalaw, Barhoud, Mame Coumba Lamb. Les djinns sont, en cette veille des élections locales, très sollicités par les candidats. Pendant que certains les invoquent surtout pour se protéger, d’autres n’hésitent pas à en faire usage pour atteindre un adversaire.

Elections riment avec mystique dans la croyance de nombreux Sénégalais et Africains. Les Locales du 23 janvier 2022 ne sont pas une exception. Dès les premiers jours de la campagne, surgissent les premières polémiques autour de cette lancinante question du fétichisme dans l’arène politique. En cause, une image montrant le ministre de l’Economie, Amadou Hott, corne à la main. Laquelle image n’a pas manqué de défrayer la chronique. Accusé de flagrant délit de pratiques occultes par ses adversaires, le staff du ministre montait au créneau pour livrer sa part de vérité. Pour l’entourage du candidat à la mairie de Yeumbeul-Sud, la photo en question a été sortie de son contexte par des individus malintentionnés pour nuire au ministre. Sur sa page Facebook, Amadou Hott précisait : ‘’Une certaine presse malintentionnée, sans aucune préoccupation de l’éthique et de la déontologie journalistiques, est en train de valser de manière ridicule dans le mensonge et la manipulation. Pour rétablir la vérité, cette image a été prise lors du festival de la communauté diola où le ministre Amadou Hott était invité. Ceci n’a rien de mystique, mais purement culturel.’’

Comme pour ne rien arranger, le festival en question a coïncidé avec le jour même du démarrage de la campagne. Quelques jours auparavant, c’est le journal ‘’Le Témoin’’ qui livrait une information plus ou moins rocambolesque, à propos toujours des pratiques occultes. A en croire le canard, un ministre de la République, maire et candidat à sa propre succession de surcroit, avait été surpris, tard dans la nuit, dans un marché, en train de prendre des bains mystiques. Surpris par des gardiens du marché, il les aurait arrosés de billets de banque pour acheter leur silence. Ce qui ne lui a pas servi à grand-chose, puisque l’affaire finit sur la place publique et a soulevé moult commentaires chez les internautes.

Selon EnQuête, pendant que les uns épinglent l’animisme et le manque de foi des politiques, d’autres estiment que cela fait partie des réalités africaines et que rien dans les dispositions législatives ne l’interdit.

Lass Badiane, candidat : ‘’Certains font recours au mystique non pour se protéger, mais pour tuer’’

Chez les acteurs, le sujet relève surtout du tabou. Difficile de leur soutirer un témoignage, même si les récriminations foisonnent. Acteur politique et candidat à la mairie de Grand-Yoff, Lass Badiane, lui, a bien voulu raconter sa part de vérité. D’après lui, l’existence de telles pratiques dans le milieu ne peut souffrir l’ombre d’un doute. Il peste : ‘’Personne ne peut nier de telles pratiques dans l’arène politique. On en voit très souvent. Et ce n’est pas pour se protéger, comme ils le disent, c’est pour tuer. Certains iront voir les marabouts pour demander de rendre fou un adversaire, de le rendre muet ou handicapé. C’est très méchant. C’est inhumain.’’ Et les exemples ne manquent pas, à en croire l’homme politique. Si ce n’est pas les œufs, cornes et autres offrandes posés à la devanture des maisons, c’est tout simplement des sorts jetés dans la voiture. Lass Badiane raconte sa propre expérience à nos confrères du journal EnQuête: ‘’Une fois, on m’a mis des œufs devant ma maison. Je les ai lavés et je les ai mangés. Moi, je ne crois qu’en Dieu ; je suis un fils de daara. Mais les gens abusent, surtout en période d’élections.’’ En politique expérimenté, le candidat d’Avec Ligey Kat Yi estime que ces pratiques n’épargnent aucune localité. En ville comme en campagne. Et cela ne se limite pas aux élections, si l’on se fie à son témoignage. Il donne l’exemple de sa commune où il est conseiller municipal. ‘’Il faut, confie-t-il, demander à certains conseillers. Depuis qu’ils ont été élus membres du conseil municipal, ils n’ont jamais mis les pieds làbas. Et c’est parce qu’ils sont contre le maire en activité. ‘Dagn leeni nawtal’. Moi, mon père est diola, ma mère sarakolé et j’ai des grandsparents originaires du Saloum. Je viens du cœur de la rébellion, en Casamance. Je ne vais marabouter personne, mais je me protège sur tous les plans’’.

‘’Mon oncle est paralysé depuis son investiture par Yewwi Askan Wi’’

Pour s’engager en politique, pensent nombre de Sénégalais, il faut ainsi être prêt sur tous les plans, particulièrement sur le plan mystique, pour rester indemne. Les exemples de Lass Badiane font froid dans le dos. ‘’J’ai un parent à Diawara, dans le département de Bakel. Il était bien portant et était le principal adversaire du maire sortant. Juste après son investiture par la coalition Yewwi Askan Wi, il a perdu l’usage de sa mobilité. Aujourd’hui, il bouge difficilement. Il n’y a pas de doute, ce sont les attaques mystiques. Il a fait toutes les analyses, mais jusqu’à présent, il ne retrouve pas sa mobilité’’, dénonce-t-il, non sans inviter ses amis politiciens à plus de fair-play et de loyauté dans le combat. ‘’En ce qui me concerne, répète le jeune leader, je n’ai jamais fait du mal à qui que ce soit. Mais je me protège et je protège tous ceux qui m’accompagnent. J’ai pris les noms de tous ceux qui sont investis sur ma liste et je les ai emmenés chez mes ancêtres’’.

A Diawara, à Grand-Yoff, à Pikine comme à Rufisque, les croyances semblent les mêmes. En politique, il faut se préparer pour éviter de périr ; tous les moyens étant bons pour accéder au pouvoir. En temps d’élections, il est souvent déploré des crimes crapuleux, parfois sur des enfants, des mutilations sur des animaux souvent assimilés à de pareilles pratiques. Parfois, c’est tout simplement une chasse aux albinos qui est fustigée. Marabout très reconnu dans les Navetanes et la politique à Rufisque, Mansour Ngom alias ‘’Thiarakh’’ explique : ‘’Il faut retenir qu’à chacun sa méthode. On peut tout faire avec le noir, mais on peut également tout faire avec le Coran. Je donne l’exemple de la sourate Fatiha. Si vous allez à la sourate Fatiha, il y a sept lettres (de l’alphabet arabe) qui n’y figurent pas. Ce sont ces lettres qui sont à l’origine de savoirs noirs. On parle de ‘barhoud’. A côté, il y a beaucoup d’autres djinns qu’on invoque, grâce à la sourate Fatiha.’’ Il en énumère plusieurs dont le djinn Maimouna. Et de préciser : ‘’L’homme est constitué de trois choses : les rawhanes, l’âme, les djinns. Par les rawhanes, nous allons par exemple voir des images, à travers notamment les rêves. Maintenant, pour les djinns, ils nous sont plus proches. Ils nous voient, mais tout le monde ne peut les voir. Il y en a qui sont des croyants, d’autres non. Parmi les djinns, ceux qui sont dans les eaux réagissent plus vite. Quand on veut être élu par exemple, il y a des sacrifices à faire pour qu’ils intercèdent en notre faveur. Les djinns se chargent, par exemple, d’affaiblir les adversaires, en mettant en avant le futur élu.’’

Les secrets de la sourate ‘’Fatiha’’ et des djinns

Parmi ces djinns, il y a Maimouna, Shamharuz, Asma Ubahdati… ‘’L’objectif ultime, c’est de demander au djinn d’intercéder en faveur de quelqu’un pour qu’il soit dans le cœur de tous les électeurs. Le jour du scrutin, tu peux entrer dans la salle avec l’intention de voter untel, mais une fois sur place, tu prends un autre bulletin sans savoir pourquoi. De la même manière que le mystique permet de conquérir le pouvoir, si on n’y accorde pas de l’importance, on ne va pas durer au pouvoir. Ce sont des réalités’’, confie-t-il avant d’enchainer avec Asma Ubahdati : ‘’C’est ce que certains utilisent quand ils veulent détruire. Ceux qui travaillent avec ces djinns, souvent, portent des tenues rouges ou versent beaucoup de sang, notamment les chèvres. Ils vont te donner des cornes enveloppées d’un tissu rouge et des cauris. Ceci constitue une sorte de repère pour les djinns. On vous demandera aussi de porter une tenue blanche à l’intérieur. C’est pour avoir le cœur et l’esprit des gens qui vont t’écouter.’’ Pour avoir de tels résultats, plusieurs voies sont utilisées, tient-il à relever.

A titre d’illustration, il rappelle le cheval dont la langue a été coupée à Rufisque, lors des dernières élections. Il y a aussi le cas de sacrifice d’albinos. ‘’Chaque chose obéit à un objectif bien déterminé. Par exemple, quand on veut dominer une population, faire en sorte qu’ils vous obéissent, il y a des sacrifices spécifiques à faire. Beaucoup le font avec Barhoud, qui peut demander du sang. D’autres ne font rien qui soit en contradiction avec le Coran’’. A en croire Thiarakh, à chaque localité ses réalités et son maitre. A Rufisque, par exemple, c’est Mame Coumba Lamb la grande patronne. Et il faudrait l’avoir avec soi pour y être élu. ‘’C’est comme un chef de famille. Si on veut avoir avec soi la famille, la voie la plus appropriée est de passer par le chef. Pour ce faire, il y a des règles à respecter. Par exemple, l’heure des sacrifices, le jour, la place et la nature même des sacrifices. Tous les détails sont importants’’, explique M. Ngom