CONTRIBUTION - Pendant la colonisation française, les têtes brûlées et autres personnes indésirables en Métropole étaient exilées en Nouvelle Calédonie, un territoire surnommé aussi « Le Caillou ». Et dont les habitants viennent d’ailleurs de décider de rester français à l’issue du troisième référendum d’autodétermination organisé par les autorités de ce pays. Un troisième référendum boycotté, soit dit en passant, par les indépendantistes du Fnlks.

En Afrique, les mêmes indésirables, objecteurs de consciences ou personnes considérées comme dangereuses étaient exilées en Mauritanie, à Madagascar, au Gabon, en Algérie etc. Après notre indépendance, au Sénégal, les fonctionnaires récalcitrants, en guise de sanction, étaient affectés à Kédougou ou en tout cas dans la région de Tambacounda dont dépendait justement cette ville.

A la suite de leur « coup d’Etat » contre le président Senghor, le président du Conseil — équivalent du Premier ministre actuel — Mamadou Dia et ses compagnons avaient été incarcérés à la prison de Kédougou, une ville considérée alors comme le bout du monde, si ce n’est l’enfer car très éloignée, enclavée et avec un climat particulièrement inhospitalier. C’est dans ce bagne, donc, que ces nationalistes avaient été détenus pendant plus d’une décennie.

Plus près de nous, l’opposant Barthélémy Dias avait été lui aussi emprisonné très loin de Dakar, à Tambacounda, par le régime du président Abdoulaye Wade pour le couper de ses supporters et lui faire ressentir, en quelque sorte, les rigueurs de « l’exil » car il s’agissait bien d’une sorte d’exil intérieur qui frappait le maire de Mermoz-Sacré-Cœur. Avant cela, au lendemain des événements de 1988, Boubacar Sall surnommé le « Lion du Cayor », alors fougueux et radical numéro deux du Parti démocratique sénégalais (Pds) avait été lui aussi envoyé en exil intérieur dans une région périphérique, celle de Kolda plus précisément, où il avait été détenu avant d’être libéré à la faveur des négociations entre le président Abdou Diouf et son principal opposant d’alors, Me Abdoulaye Wade.

Eh bien le président Macky Sall, bien que né après les indépendances, est en train de s’inspirer des méthodes de ses prédécesseurs non pas en emprisonnant ses opposants dans l’ex-région du Sénégal Oriental (non, non il a embastillé aussi bien Khalifa Sall et Karim Wade à Rebeuss pour les avoir en quelque sorte sous les yeux) mais, de plus en plus, en les exilant à l’intérieur du pays. Comme le faisaient les autorités soviétiques en envoyant les dissidents et autres objecteurs de consciences en Sibérie !

Coup sur coup, donc, le magistrat Souleymane Teliko, très courageux président sortant de l’Union des Magistrats du Sénégal (UMS) et l’éducateur spécialisé Guy Marius Sagna, parce qu’ils ont donné du fil à retordre à son pouvoir, ont été affectés respectivement à Tambacounda et à Kédougou ! C’est-à-dire, encore une fois, dans ce qui, jusque dans les années 2000, constituait la région administrative du Sénégal Oriental. Ah, j’allais oublier ! Quelques-uns des leaders de la fronde estudiantine de 1971, enrôlés dans l’Armée, avaient été mis dans un avion avant d’être débarqués dans un camp militaire en plein cœur du Parc national de Niokolo Koba rempli de lions, d’hyènes et d’autres bêtes sauvages. Un parc situé…dans l’actuelle région de Kédougou. Le grand banquier Bassirou Faty, qui faisait partie de ces étudiants martyrs, ne me démentira pas. Bref, le régime du président Macky Sall, donc, pour se débarrasser des têtes brûlées et autres gêneurs, fait tout simplement comme celui du président Senghor mais dans un tout autre contexte ! Nous pensions évoluer en plein 21ème siècle et à l’ère du numérique, de la mondialisation et de la démocratie triomphante — le Sénégal ne fait-il pas partie des pays invités par le président américain Joe Biden à son Sommet mondial de la démocratie tenu la semaine dernière ? — mais hélas, nous voilà retournés à la sombre période du parti unique, de la guerre froide et des méthodes staliniennes de répression des opposants par l’emprisonnement et/ou l’exil intérieur !

Post scriptum : La région de Kédougou, c’est aussi celle qui abrita, au début de nos indépendances, le fameux maquis du PAI et où, ces temps-ci, on dit que des djihadistes seraient signalés dans la zone de Kidira qui en dépend administrativement. Prenons garde à ce que l’ami Guy Marius Sagna ne fasse ami-ami avec ces fous de Dieu !

 

Avec Le Témoin