CONTRIBUTION – Qu’il fronce les sourcils ou enrage pour que le président du CNRA, toutes affaires cessantes et tremblant de peur, sorte ses ciseaux d’Anastasie (comme le Canard Enchaîné appelait la censure durant la Guerre) pour couper les séquences de films jugées haram, scandaleuses ou contraires à la morale par Mame Mactar Guèye ! De même, il lui suffit de « porter plainte » — à quel titre et au nom de qui sommes-nous tentés de nous demander ? — pour que nos forces de police, particulièrement la division de lutte contre la cybercriminalité — entrent en branle, pourchassent, arrêtent et défèrent de pauvres jeunes gens.

Lesquels, le plus souvent, n’ont absolument rien fait sinon peut-être commis des péchés véniels mais qui, aux yeux de l’Ong Jamra, méritent les flammes de l’enfer ou de la géhenne. Derniers exemples en date : il a suffi que MMG hurle contre la série « Cirque noir » pour que la police traque à la fois les réalisateurs, les producteurs et les acteurs de ce projet — vous avez bien lu —de film et les envoie en prison. Or, comme l’ont expliqué ces pauvres jeunes gens, ils ont juste voulu, à travers une bande-annonce sulfureuse certes, faire du buzz afin d’avoir suffisamment de « vues » pour se faire monétiser et donc pouvoir financer leur projet de film. De même, le deux danseurs de Wally Seck ont également été emprisonnés parce que Mame Mactar Guèye et d’autres censeurs se sont scandalisés d’un baiser qu’ils ont échangé sur la scène du Grand Théâtre.

Les acteurs des séries « Infidèles » et « Maîtresse d’un homme marié » ont eu droit au même Tribunal de l’Inquisition qui les a condamnés à être brûlés sur le bûcher judiciaire allumé par Mame Mactar Guèye et autres censeurs ! Bien avant cela, la petite Rangou avait elle aussi passé de longs mois en prison pour avoir fait des publications osées sur le net et aussi avoir voulu organiser un « yendu » privé (oui, privé) dans un hôtel de la place. Alertée par Mame Mactar Guèye et ses intégristes, la police avait débarqué pour non seulement mettre fin à la « party » mais aussi envoyer la pauvre petite en prison. On pourrait multiplier les exemples à l’envi. Aujourd’hui, il suffit d’un bout de sein qui dépasse, d’une jupe un peu trop courte, d’une femme qui fait tomber sa petite culotte dans une série, pour que Jamra crie à l’abomination… Ce qui est synonyme d’ouverture de poursuites judiciaires contre les malheureux qui se seraient rendus coupables de tels « crimes ». Or, à ce que l’on sache, le Sénégal, bien qu’étant un pays musulman, n’est quand même pas — du moins pas encore — un Etat islamique.

Une culture qui accorde une large place à l’érotisme !

Entendons-nous bien : loin de nous l’idée de plaider pour une déliquescence des moeurs dans notre pays. Au contraire, nous nous efforçons tous de promouvoir les valeurs largement basées sur l’islam qui ont fait de ce pays ce qu’il est aujourd’hui. De ce point de vue, nous estimons que nos guides religieux sont infiniment mieux placés que les dirigeants de Jamra pour être les gardiens de ces valeurs. Pour autant, ce pays a aussi une culture vivante qui a toujours accordé une large place à l’érotisme ce qu’on ne saurait confondre avec dévergondage. Notre bon vieux fond culturel thieddo ou animiste sans doute ! De ce point de vue, au « Témoin », depuis plus de 30 ans, on a toujours prôné une liberté des mœurs qui ne signifie pas libertinage. Et tous ceux qui nous ont suivis durant ce presque tiers de siècle savent que nous avons toujours été de grands amateurs de nos danses disons érotiques comme le « Tatou Laobé », « Oubil Mbarka Ndiaye », « Ndiaye Kholé », « Arwatam », « ventilateur » et autres. Des danses à côté desquelles certaines scènes de nos séries qui mettent dans tous leurs états Mame Mactar Guèye et ses amis mollahs sont plutôt des modèles de pudeur.

Je me rappelle qu’il y a une quinzaine d’années Latif Guèye, fondateur de « Jamra » et grand copain du « Témoin », avait lancé une croisade contre l’Agence de distribution de presse (ADP) qu’il accusait d’introduire de la littérature pornographique dans notre pays. A l’époque, les réseaux sociaux n’existaient pas. Le Témoin avait fait un papier pour prendre son contrepied, lui disant qu’il avait le droit d’être un intégriste mais que nous, nous tenions à des publications comme « Union », « Lettres coquines » etc. Et que, aussi, nous étions de grands amateurs de la chaine porno « Boul Khol » du regretté Ben Bass Diagne ! Bref, que chacun devait avoir la liberté de regarder ce qui lui plait. C’est quand même le fondement de toute société de liberté comme la nôtre. Autant Mame Mactar Guèye préfère sans doute les femmes en burnous ou burqas et regarder des programmes télévisés montrant des courses de chevaux ou des documentaires sur la chasse aux faucons comme en Arabie saoudite, autant le public sénégalais raffole de ses séries. Des séries dont, personnellement, je ne suis pas un amateur pour n’en avoir jamais regardé ne serait-ce qu’un seul épisode de toutes celles dont on parle mais enfin, je suis pour que ceux qu’elles passionnent puissent avoir le droit de les regarder. Tout simplement. Quant à ceux auxquelles elles ne disent rien, comme moi, ils ont toujours la possibilité de zapper !

Attention à une « talibanisation » pernicieuse du Sénégal !

Plus généralement, il faudrait que l’on permette à notre jeunesse de s’épanouir quelque peu et ne pas lui offrir pour seule perspective le chômage, les pirogues de fortune avec risque de noyade en mer ou…la prison. La diva rufisquoise Khar Mbaye Madiaga, dans une de ses magnifiques chansons, disait ceci « Khaléyi kou lène diourone yeureum lène » (ces enfants, s’ils étaient vôtres, vous auriez eu de la compassion pour eux). Imaginez donc de magnifiques jeunes gens qui, avec les moyens du bord, parviennent à faire des productions audiovisuelles non seulement regardées et appréciées dans les autres pays africains mais encore que des télévisions occidentales commencent à leur acheter. Et plutôt que de les encourager dans cette voie, plutôt que de les pousser à créer au Sénégal —qui est quand même le pays des Ousmane Sembène, Djibril Diop Mambetty, Tidiane Aw, Johnson Traoré, Ababacar Samb Makharam mais aussi…d’Alain Gomes — plutôt donc que de pousser ces jeunes gens à créer au Sénégal une réplique du Nollywood nigérian, voilà que le moindre acte de création cinématographique qu’ils posent leur ouvre les portes des commissariats de police ou de la prison de Rebeuss ! Et ce parce que, tout simplement, tel serait le bon plaisir de Mame Mactar Guèye et compagnie qui sont en train de poser les jalons d’une « talibanisation » pernicieuse de notre si ouverte société.

On pourrait aussi s’étonner — le mot est trop faible sans doute — de cette sévérité excessive avec laquelle on jette en prison pendant de longs mois de pauvres jeunes gens pris avec quelques cornets de yamba. Ce au moment où même dans des pays en pointe contre l’usage des drogues comme les USA — dont les forces ont jadis capturé un chef d’Etat en exercice, celui de Panama, et le chef des armées d’un pays voisin du Sénégal pour les faire juger chez eux preuve qu’ils ne plaisantent pas dans ce domaine — ces pays, donc, légalisent aujourd’hui l’usage récréatif de la marijuana. En France, aujourd’hui, l’usage de cette substance n’est plus sanctionné que par une amende tandis qu’en Afrique des pays comme le Maroc (avec sa région du Rif) ou le Botswana voire le Rwanda en ont fait un produit d’exportation. Encore une fois, l’homme qui ne fume même pas de cigarettes que je suis se demande s’il n’est pas temps de lever le pied un peu dans la trop lourde répression qui frappe les fumeurs de chanvre pour la concentrer sur les trafiquants. Ce étant donné que les usagers, eux, sont avant tout des victimes !

Pour en revenir à notre sujet, dont je ne me suis jamais éloigné du reste, il est sans doute temps pour les autorités de remettre Mame Mactar Guèye à sa place et de cesser d’obéir à ses injonctions. Car, s’il y a bien une richesse dont dispose le Sénégal, une richesse plus précieuse que ce pétrole et ce gaz dont on nous rebat les oreilles, c’est bien les libertés qui y ont toujours régné. Des libertés, y compris sur le plan des mœurs, dont des allumés comme Mame Mactar Guèye voudraient nous priver au profit de modèles sociétaux qui ne sont assurément pas nôtres. Temps aussi pour nos forces de l’ordre — qui ne sauraient être des « matlaboul shifaï » (police des moeurs à Touba) à compétence nationale et à prérogatives régaliennes — de cesser de se comporter comme des polices des moeurs. Temps enfin pour le procureur de la République de reprendre ses prérogatives confisquées par Mame Mactar Guèye de « Jamra » ! Après moi, le Déluge…

LE  TEMOIN