NETTALI.COM - Pour rentrer chez eux comme pour en sortir, les Sénégalais, à l’instar de tous les voyageurs, sont invités à effectuer un test Covid, moyennant 40 000 F. Seuls sont dispensés les arrivants qui disposent d’un document valide attestant qu’ils ont subi le test avant d’embarquer.

 En ces temps de morosité économique, tous les moyens semblent bons pour mobiliser des ressources. Déjà très éprouvés par la crise, certains migrants sénégalais ont l’impression d’être considérés comme des vaches à lait par leur propre gouvernement. Pour quitter ou rentrer chez eux, ils doivent mettre la main à la poche.

Résidant à Madrid, Cheikh Kane rumine encore sa colère. Le 9 septembre dernier, sa femme quittait Dakar avec ses deux enfants. Malgré les directives du ministère de la Santé et de l’Action sociale, demandant aux voyageurs de se munir d’un certificat attestant qu’ils ne souffrent pas de Covid-19, il leur ordonne de ne pas faire de tests. Car, affirme-t-il, l’Espagne, leur pays de destination, n’en demande pas. “Je ne peux comprendre pourquoi on exige des tests à des gens qui sortent du territoire. Ce n’est ni une demande des compagnies ni une demande des pays d’accueil. C’est pourquoi j’ai demandé à ma famille de ne faire aucun test’’.

Hélas, ses instructions n’ont pas été respectées scrupuleusement. Une fois à l’aéroport international Blaise Diagne de Diass, en partance pour Madrid via la compagnie Iberia, son épouse a flanché. “Comme c’est une femme, elle n’a pas voulu être humiliée devant les autres. Voyant les hommes s’exécuter sans problème, elle a préféré payer. Pour les trois, elle a dû casquer 180 euros, à raison de 60 euros par test. C’est excessivement cher. En plus de payer 1 500 euros pour les billets, je devais aussi supporter cette somme. Ce n’est ni plus ni moins qu’une arnaque’’. En effet, après être passé à la caisse, une équipe a fait des prélèvements à la petite famille, a pris leurs coordonnées, avant de les laisser partir rejoindre leur époux en terre espagnole. “Le pire, affirme le mari dépité, ils n’ont jamais reçu les résultats desdits tests. C’est quoi, si ce n’est pas de l’arnaque ? Et cela ne repose sur rien. Ce n’est ni la loi ni le décret. Il y a trop d’injustice au Sénégal. C’est un pays sans loi et ça doit cesser. Sinon, un jour, les gens vont s’entretuer pour leur survie’’.

Des tarifs jugés excessivement chers

En fait, depuis le mois de juillet, le gouvernement du Sénégal a pris des mesures pour demander à tous les voyageurs ces documents sanitaires. Mais s’il est compréhensible que le Sénégal exige des documents pour entrer dans son territoire, ce qui passe mal aux yeux de certains voyageurs, c’est le fait d’exiger un test Covid à ceux qui sont sur le départ. Ce, même quand les pays d’accueil n’en font pas une exigence.

Député de la diaspora, Mor Kane a été le premier à saisir “EnQuête’’ pour s’insurger contre ce qu’il considère comme une injustice manifeste contre ses mandants. Il peste : “Pour moi, c’est une corruption qui ne dit pas son nom. Le 25 août, des collègues ont quitté le Sénégal pour l’Espagne via la compagnie Iberia. On leur a fait payer 50 euros chacun avant l’embarquement, sans aucun reçu. En tant qu’élu, je me demande comment c’est possible. Je pense que la moindre des choses est de donner aux gens des reçus qui montrent qu’ils ont payé, mais aussi où va cet argent’’.

D’après le parlementaire, au début de ces tests, la directrice générale de la Santé publique, Marie Khémesse Ndiaye, avait dit que les tests seront demandés uniquement aux ressortissants des pays qui exigent le test aux Sénégalais. “Or, souligne le député, l’Espagne ne demande pas de test. Nous interpellons l’Etat. Je demande à tous les voyageurs de s’opposer à l’application de cette mesure. Ce pays nous appartient. Nous devons tous nous battre contre l’injustice’’.

Baye Dame Guèye, lui, n’a pas attendu l’invite du député libéral pour se rebeller. Rentré la semaine dernière d’Espagne, il a refusé catégoriquement de payer 60 euros pour être autorisé à entrer dans son pays. “Quand nous avons foulé le tarmac de l’AIBD, à la sortie de l’aéroport, on a aménagé deux voies. Une pour ceux qui ont fait le test, une autre pour ceux qui n’en ont pas fait. J’ai alors emprunté cette dernière voie avec mon accompagnant. Sur 300 personnes environ, seule une vingtaine disposait du document. Le tri ayant été fait, ils nous ont demandé de payer 60 euros chacun pour passer le test. Tout le monde s’est mis à exécuter, mais moi j’ai refusé catégoriquement. Je dois dire qu’avant d’arriver à l’AIBD, je suis passé aux aéroports de Grenada, puis de Madrid ; on ne nous a rien demandé. Même pour l’entrée, les Espagnols ne demandent pas ce certificat. Pourquoi on doit payer pour rentrer dans notre pays ? Les émigrés sont vraiment très fatigués’’. L’appel à la désobéissance.

S’ensuit une vive discussion avec les agents qui lui signifient que le paiement de 60 euros est obligatoire pour avant de sortir de l’aéroport. “Ils m’ont demandé si quelqu’un de mon entourage ne pourrait pas m’envoyer l’argent par Orange Money. Mais je leur ai répondu que je ne peux venir d’Europe et demander de l’argent comme un mendiant. Ils m’ont alors invité à attendre dans un coin. J’y suis resté pendant plus de deux heures, de 20 h à 22 h passées, sans que personne ne nous édifie’’. Ulcéré, l’émigré prend alors son courage à deux mains et interroge ses “geôliers’’. “Je me suis levé pour leur dire de faire le nécessaire ; soit de nous laisser partir, soit de nous mettre en prison. Là, le policier m’a dit : ‘Tu ne devrais pas te donner en spectacle comme ça. Ici, il n’y a que tes enfants et petits-enfants…’ Finalement, ils m’ont fait faire le test et ont pris mes coordonnées. Mais je n’ai rien payé. Depuis lors, je n’ai pas de leurs nouvelles. Pour moi, c’est injuste et irrespectueux à l’endroit des émigrés’’.

La question qui se pose est de savoir quel est l’intérêt d’un tel test, si l’on sait que cela fait longtemps que le Sénégal n’effectue des tests que pour les gens ayant des symptômes, dans un contexte où même la prise en charge des cas asymptomatiques n’est plus systématique… Qu’advient-il d’un Sénégalais qui refuse de faire le test comme M. Guèye ? En tout cas, cette mesure datant de juillet dernier a de plus en plus du mal à passer, aux yeux de certains voyageurs sénégalais qui y voient une manière de leur soutirer de l’argent indu. Nos tentatives d’entrer en contact avec l’Iressef, en charge du contrôle à l’AIBD, sont restées vaines.

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