NETTALI.COM - L’exploration, le développement, l'exploitation, la valorisation et la distribution des ressources pétrolières et gazières nécessitent des investissements lourds ainsi que de nombreux équipements et technologies qui, sans un encadrement juridique spécifique, seraient majoritairement importés.
Par ailleurs, l'utilisation de la main d'œuvre locale et la participation des entreprises nationales aux activités pétrolières et gazières ne peuvent être optimales que si les défis liés à la faiblesse des capacités techniques, technologiques et économiques des entreprises locales et ceux liés à la qualification professionnelle de la main d'œuvre sont relevés.

Déjà à l’article 58 du code pétrolier, parlant des obligations en matière de contenu local, il est stipulé que les titulaires de contrat pétrolier ainsi que les entreprises travaillant pour leur compte doivent :
Donner la possibilité aux investisseurs privés nationaux, disposant de capacités techniques et financières, de participer aux risques et aux opérations pétrolières ;
Accorder la préférence aux entreprises sénégalaises pour tous les contrats de construction, d'approvisionnement ou de prestation de services, à conditions équivalentes en terme de qualité, quantité, prix, délais de livraison et de paiement ;
Employer, à qualification égale, en priorité, du personnel sénégalais pour la réalisation des opérations pétrolières sur le territoire de la République du Sénégal ;
Contribuer au maximum au transfert technologique en direction des entreprises sénégalaises avec des relations d’accompagnement ;
Verser dans une institution financière de premier rang le montant du cautionnement pour la réhabilitation et la restauration des sites dans les conditions fixées dans le contrat pétrolier.
Ils contribuent à la formation professionnelle des cadres et techniciens sénégalais à travers un programme annuel de formation défini dans le contrat pétrolier applicable.
La politique de contenu local se définit comme le pourcentage des dépenses engagées par l’industrie pétrolière pour assurer :
La formation des ressources humaines locales et leur emploi à différents niveaux de la chaîne pétrolière et gazière ;
L’approvisionnement en biens et services à travers les PME et les PMI du pays concerné, le Sénégal
La création d’industries de valorisation des hydrocarbures (production d’énergie électrique, pétrochimie, GNL, raffinage, fertilisants, etc.)
La réalisation des projets sociaux à travers, entre autres la politique de responsabilité sociale (RSE) des compagnies pétrolières ;

En somme, c’est le « le quantum de valeurs ajoutées à créer dans l’économie nationale par une utilisation délibérée de ressources humaines et matérielles et des services dans l’exploration, le développement, l’exploitation, le transport et la vente de pétrole brut et des ressources gazières, sans mettre en péril la qualité, la santé, les normes de sécurité et environnementales. »
Ce sont les retombées directes de ces activités sur l’économie nationale, en dehors des taxes, et des revenus percevoir par l’Etats hôte, le Sénégal.

Le contenu local en Afrique est le plus bas du monde, et il faudra mettre en œuvre des politiques bien structurées et robustes pour bénéficier des effets induits par l’exploitation des ressources pétrolières, et ainsi espérer relever ce taux à 50% l’horizon 2030.

Le diagnostic est connu : l’économie sénégalaise est caractérisée par l’étroitesse de sa base de production avec un fort déséquilibre entre les secteurs porteurs de sa croissance, croissance tirée à près de 60% par les télécommunications et les services financiers. Un tel déséquilibre est source de vulnérabilité en cas de chocs endogènes ou exogènes dans le secteur des services et fait du Sénégal une économie peu diversifiée.
Notre secteur secondaire contribue à plus de 20% du PIB et emploie 23% de la population active. Il est fondé essentiellement sur la production d’engrais et d’acide phosphorique à destination de l’Inde et sur la transformation de l’arachide (huile et tourteaux pour le bétail) et des produits de la mer (malgré une raréfaction croissante de la ressource). Il traverse une crise, en raison entre autres des contraintes structurelles, dont notamment un manque de compétitivité résultant de la cherté des facteurs de production et à la verticalité de l’activité industrielle très peu ou pas intégrée, mais aussi à l’ouverture des marchés à la concurrence.

Considéré comme la seconde source de croissance, après le secteur tertiaire, le secondaire constitue ainsi un levier important pour relever les grands défis liés à la réduction de la pauvreté, à l’atteinte des Objectifs de Développement Durable(ODD) et à la mise en œuvre des stratégies retenues dans le Plan Sénégal Emergent (PSE) à travers son axe 1 qui vise une transformation structurelle de l’économie. Les principaux objectifs de la politique industrielle du PSE pour satisfaire pleinement la demande du marché intérieur et extérieur se déclinent comme suit :

L’augmentation de la contribution de l’industrie à la croissance réelle PIB.
L’accroissement et la diversification sensible des exportations, et la diminution concomitante des importations.
La création d’un cadre macroéconomique favorable avec des réformes relatives notamment à l’environnement des affaires, l’énergie, l’accès au crédit des petites et moyennes industries (PMI) et entreprises (PME).
Faire du Sénégal un hub logistique et industriel régional.
Le développement de 3 plateformes industrielles intégrées visant notamment l’agroalimentaire, le textile et les matériaux de construction.
Faire de la Zone Économique Spéciale de Diamniadio une plate-forme multifonctionnelle pour l’essentiel des activités productrices de revenus (industrie, artisanat, confection, équipements, infrastructures, etc.).
Création d’un pôle manufacturier à haute valeur ajoutée et la diversification de la base de production de celle -ci

Ainsi, les investissements programmés pour le secteur secondaire au titre du PTIP 2015-2017 s'élevaient à 410,712 milliards de francs CFA, soit 12,44% du coût global de l'ensemble du programme, contre 695 735 000 000 CFA au secteur primaire, et 786 348 000 000 CFA au tertiaire.
L’industrialisation a des effets bénéfiques évidents pour toute économie moderne : hausse des niveaux de vie, diversité accrue des modes de vie, remède robuste contre le sous-emploi, meilleure stabilité des recettes d’exportation. Sous ce rapport, la contribution du secteur secondaire à la croissance de 6,4% du PIB enregistrée pour les années 2015 et 2016 a été respectivement de 2,3% et 1,3%. Elle renseigne à suffisance sur la faiblesse des performances de l’industrie nationale.

Démarche pour asseoir le Contenu Local
Toute une démarche méthodique et planifiée préside à la mise en œuvre du contenu local. Elle consiste à identifier les entreprises locales, à les informer, les accompagner pour leur mise à niveau aux standards industriels en matière de Qualité, de Management et d’Hygiène, Sécurité et Environnement(QHSE), à les pré-qualifier et adopter une stratégie contractuelle consistant à leur donner la préférence dans l’attribution de contrats adaptés à leurs capacités ; un appui-conseil leurs est apporté pour mettre à niveau leur outil de production, leur personnel technique, etc.

Il s’agira ensuite de définir un plan de développement pour les entreprises à haut potentiel afin de leur permettre d’accéder à des marchés plus importants.
Elles sont ensuite incitées à conclure des partenariats industriels, commerciaux ou financiers avec d’autres sociétés à l’étranger ou au Sénégal, à nouer des joint-ventures industrielles pour la réalisation en commun de travaux qui leur sont confiés et acquérir ainsi les compétences nécessaires, grâce à ce transfert de savoir-faire.
Un tel objectif n’est guère facile à atteindre dans le contexte de désorganisation et de pertes successives de compétitivité qui a caractérisé le secteur industriel africain ces dernières décennies ; Conséquence : l’effet multiplicateur et d’entraînement attendu de l’activité pétrolière ne s’exercent généralement pas dans la plupart des pays africains producteurs de pétrole. Il en découle selon plusieurs études que le contenu local en Afrique est inférieur à 20%, contre 70% au Brésil et en Malaisie, et environ 06% en Norvège ;

Type de contrat Nigérian Etranger Total
Service de consultants 14 0 14
Forage et construction de puits 22 38 60
Services environnementaux 7 3 10
Exploration 2 14 16
Autres 0 3 3
Exploitation gaz 0 3 3
Hôtels et restauration 10 5 15
TIC 16 5 21
Passation de marchés 73 13 86
Maintenance d’installations de production 48 30 78
Projets/Construction 19 35 54
Transport 45 42 87
Nombre total de contrats 256 191 447
Valeur des contrats (Milliers de dollars USD) 0 ,4 2 ,4 2,8
Valeur des contrats en % 14,3 85,7 100
Contrats conclus dans le secteur amont du pétrole et du gaz au Nigeria en 2002

Le tableau ci-dessus illustre les dépenses consacrées au Nigeria au paiement des fournisseurs de services au secteur amont du pétrole et du gaz qui se sont chiffré à 2,8 milliards de dollars. Sur ce montant, les firmes étrangères ont réalisé 2,4 milliards de dollars, soit 85 % du total, cas bien même ces entreprises locales se sont arrogées plus de 57% du volume total des contrats.

Ainsi, le retour d’expérience dans ces pays africains producteurs de pétrole fait ressortir :
Une pénurie de personnel et d’entrepreneurs ayant les compétences appropriées.
Une insuffisance de l'infrastructure industrielle locale.
Une incapacité des entrepreneurs locaux à présenter des soumissions concurrentielles qui répondent aux exigences de qualité, de sécurité et autres normes dans le domaine pétrolier.
Ces inaptitudes tiennent tout à la fois de considérations macroéconomiques, mais aussi à l’échelle infra, c’est-à-dire dans l’organisation et le fonctionnement même des entreprises locales.

Les causes macroéconomiques tiennent souvent :
A une faiblesse du tissu industriel national pour absorber toutes les activités
A une exigence de haute technicité des activités réalisées dans l’industrie pétrolière et minière
A un climat des affaires souvent peu favorable à la création et au développement des entreprises locales
A ces causes s’ajoutent des raisons qui relèvent de considérations interne à l’entreprise locale : Méconnaissance des normes de Qualité, Hygiène, Sécurité et Environnement, inadaptation des compétences techniques et de gestion (administration, organisation, structure financière, capitalisation), manque d’information sur les procédures d’achat de biens et de services des donneurs d’ordre de l’industrie pétrolière.
Il s’avère ainsi essentielle d’asseoir cette démarche de contenu local, préalable à la conceptualisation de la Politique de Contenu Locale (PCL) en elle-même, au risque de voir les entreprises ne capter que la portion congrue de la commande des donneurs d’ordre. Il faudra identifier dès lors les entreprises locales, les informer des opportunités, les accompagner pour leur mie au niveau des standards industriels en matière de Qualité, de Management et de HSE, puis à les pré- qualifier avant d’adopter une stratégie contractuelle consistant à leur donner la préférence dans l’attribution de contrats adaptés à leurs capacités.
La concertation nationale sur la mise en œuvre du contenu local présidée par le Chef de l’Etat a été sans conteste le signal pour engager le combat autour de ces enjeux de taille qui replace l’industrie au cœur des politiques de développement.

La Loi 2019-4 sur le contenu local préconise la mise sur pied d’un Comité National de Suivi du Contenu Local (CNSCL) ; Il conviendra de s’affranchir des lourdeurs bureaucratiques qui ralentissent souvent la mise en œuvre des projets et programmes, et s’atteler aux tâches prioritaires suivantes :
Concevoir d’un Plan de développement pour les entreprises à potentiel de développement pour leur permettre d’accéder à des marchés plus importants.
Mettre en place d’un système de Monitoring pour apporter un appui-conseil pour une mise à niveau de leurs outils de production et de leurs personnels techniques, etc. ;
Assurer un suivi des retombées du secteur en matière d’emplois
Les entreprises locales devront par la suite être incitées et accompagnées dans la conclusion de partenariats industriels, commerciaux ou financiers avec d’autres sociétés à l’étranger ou Sénégal, ou en vue de compagnonnage industriel pour la réalisation en commun de travaux qui leur sont confiés et acquérir ainsi les compétences nécessaires, grâce à ce transfert de savoir-faire.
Au préalable, nous avons besoin de conduire un audit exhaustif de notre secteur industriel afin d’en cerner les atouts et faiblesses.

Différentes stratégies de mise en œuvre du contenu local

La mise en œuvre du contenu local s’opère par le biais d’accords spécifiques, notamment lors de la conclusion des accords liés au développement de projets. L’Etat formule des obligations de contenu local aux entreprises opératrices : en termes de formation des cadres locaux, d’emploi local et de fourniture de biens et de services localement. Dans beaucoup de pays, de tels accords spécifiques sont à priori insérés dans le code pétrolier. Une loi spécifique dédiée au contenu local règlemente et organise par la suite les obligations des entreprises opératrices vis-à-vis de l’industrie locale. La loi 2019-04 sur le contenu local s’y consacre, même si son adoption par l’assemblée nationale le 24 Janvier 2019 s’est faite dans un contexte pré-électorale qui n’a pas permis d’instaurer un échange approfondi entre parties prenantes, notamment les industriels, les établissements financiers, les PME-PMI, sur les enjeux de taille et la portée du nouveau code pétrolier et de la loi sur le contenu local. L’exercice d’hier avec la concertation nationale sur la mise en œuvre du contenu local présidée par le Chef de l’Etat a été sans conteste le signal pour engager le combat autour de ces enjeux de taille, enjeux qui replacent l’industrie au cœur des politiques de développement.
Plusieurs voies s’offrent aux autorités gouvernementales pour sa mise en œuvre, notamment : Par la responsabilité sociétale d’entreprise (RSE) : En dehors des accords spécifiques liés aux projets de développement, les entreprises opératrices font du contenu local par le biais de la RSE, pour dynamiser le secteur industriel local. Elles participent au renforcement des capacités des ressources humaines et des entreprises locales. Elles contribuent aussi à l’évolution des infrastructures des entreprises locales par des capacitations industrielles, etc.
A travers le Code des marchés publics : Le Code des marchés publics du Sénégal doit être modifié afin de comporter des dispositions relatives à la préférence nationale dans l’attribution des marchés publics. Le code devrait en effet intégrer des dispositions pour les entreprises nationales afin qu’elles puissent bénéficier d’abattements pour les marchés de travaux ainsi que les offres financières pour les autres types de marché. Toutes ces dispositions réglementaires concourent à alimenter la politique de contenu local qui consiste in fine à conceptualiser la mise en œuvre du contenu local selon une stratégie intégrée de long terme.
Elle comporte essentiellement une charte ou un document signé par le Représentant légal de l’entreprise (PDG, DG, Directeur, Administrateur général), la substance de la loi spécifique au contenu, compatible avec les textes en vigueur, des objectifs chiffrés en termes de fournitures locales de biens et services, de main d’œuvre locale et de nationalisation des postes de responsabilité, Des moyens, des ressources humaines et financières de mise en œuvre, notamment une équipe dédiée pour les entreprises et une structure spécifique pour l’Etat (Le comité national de Suivi du Contenu local préconisé dans la loi); Une Base de Données Nationale des fournisseurs, Des outils de suivi et évaluation.

Elle définit entre autres pour l’Etat et les entreprises, un Plan de fourniture locale de biens et de services et un Plan d’emploi local pour le recrutement et la formation des ressources humaines.
Le Plan de fourniture locale de biens et de services a pour objectif la maximisation des opportunités pour les fournisseurs locaux et nationaux. Il définit les quantités de biens et de services correspondant à la taille/capacité des entreprises locales identifiées et adopte une procédure d’appels d’offres intégrant le contenu local. Enfin, il met en place un Reporting relatif aux proportions et au détail des fournitures de biens et services locaux, ainsi qu’au nombre de contrats et leur taille avec les fournisseurs locaux

Quant au Plan d’emploi local, recrutement et formation, il met en place une procédure de recrutement donnant la priorité aux travailleurs locaux. Il organise un Mécanisme de Reporting sur l’Approvisionnement Local (MRAL) dans le secteur du Pétrole et du Gaz comportant :
La liste complète des salariés ;
Le nombre, la description des postes et la durée des recrutements ;
Le personnel national employé avec des pourcentages selon les différentes catégories (non qualifié, semi-qualifié, qualifié) ou techniciens, ingénieurs et cadres et la durée d’assignement)
Le nombre d’heures de formation données et reçues ;
Le nombre d’emplois créés ou aidés (emplois directs et induits)

Le Plan d’Emploi local, de Recrutement et de Formation, pourra s’appuyer pour une meilleure efficacité sur des pôles Régionaux de Gestion Agréés de la politique d’emploi, un Guichet Unique National de l’Information Professionnelle, Une Banque Spécialisée des PME, Une Bourse de Sous-traitance et de Partenariat (BSTP) et Un Programme d’Appui à la Création et au Développement de PME- PMI orientés dans les services et produits liés au secteur pétrolier.

La Politique de Contenu Local est une chance pour la relance de notre industrie

En son Article 59, « De l'obligation d'approvisionnement du marché local », la Loi 2019-03 portant code pétrolier du 1 février 2019 stipule :
« Les produits issus de l'exploitation des gisements d'hydrocarbures sont destinés, soit à la consommation locale, soit à l'exportation.
Dans les conditions fixées par le contrat pétrolier, les titulaires d'autorisation exclusive d'exploitation doivent affecter, en priorité, les produits de leur exploitation à la couverture des besoins de la consommation intérieure du pays. Dans ce cas, Le prix de cession reflète le prix du marché international ». Affecter en priorité les produits les produits de leur exploitation à la couverture des besoins de la consommation intérieure du pays, donc à la production d’une énergie fiable et à moindre coût pour un développement industriel indispensable à l’atteinte de notre émergence.
Au regard d’un tel cahier de charge, cette politique de Contenu Local reste un enjeu économique et industriel majeur pour notre pays ; Au-delà des revenus issus des contrats de productions et de partage entre l’Etat du Sénégal et les opérateurs, c’est elle qui nous garantira des retombées conséquentes sur l’économie nationale et aidera à nous prémunir des reflux consubstantiels aux marchés pétroliers.
Par la transformation structurelle de la base de notre économie qu’elle est susceptible d’enclencher, la politique de contenu Local devrait permettre de relancer notre industrie alors que la Zone de Libre-échange Continentale Africaine (ZLECAF) est sur la rampe de lancement.
Elle doit être mise en œuvre par un organisme spécifique de l’Etat qui intègre le privé national dont le rôle devra gagner en importance pour cette phase II du PSE.
Dr. Boubacar Mbodji
Conseiller Spécial du Président de la République