NETTALI.COM - Souvent victimes d’arnaques de la part des promoteurs immobiliers, les citoyens doivent aussi faire face aux éléphants blancs des structures publiques. Depuis quelque temps, des victimes de la Caisse des dépôts et consignations ruent dans les brancards pour réclamer leurs maisons. Ils ont versé des sommes pouvant aller jusqu’à 60 millions F CFA (photo illustration).
C’est comme à la loterie nationale. Ils sont souvent nombreux à souscrire, mais peu accèdent au jackpot. Depuis 2012, les offres de logements sociaux sont devenues monnaie courante dans de nombreuses entités publiques : SN HLM, Sicap et même la Caisse des dépôts et consignations s’y est mise pour contribuer à cette politique majeure de l’État, depuis le régime sortant.
La société publique avait, en effet, initié avec un privé un important projet de construction de logements à Bambilor, en 2015. De nombreux Sénégalais s’étaient rués dans l’espoir d’avoir enfin leur logement. Dix ans plus tard, grande est leur désillusion. Ils étaient en conférence de presse le week-end dernier pour crier leur désespoir.
“La situation est très difficile. Certains avaient pas mal de projets avec ces maisons. Ils ont contracté des prêts importants qu’ils continuent de payer sans être sûrs qu’ils auront un jour leur maison”, a témoigné Pape Ablaye Sarr, secrétaire général du collectif mis en place pour la défense de leurs droits.
Constitué il y a à peine deux mois, le collectif ne cesse d’enregistrer des adhérents. Aujourd’hui, ils sont au nombre de 98, dont la majorité sont des Sénégalais issus de la diaspora et quelques étrangers vivant au Sénégal. Certains avaient déjà versé intégralement le prix du logement, des montants allant de 18 millions à 60 millions F CFA. D’autres, partiellement.
La désillusion des clients de la CDC
Derrière chaque cas, des histoires plus poignantes les unes que les autres. Le SG du collectif témoigne : “Il y a, par exemple, le cas d’une dame qui avait souscrit, espérant y loger ses parents. Malheureusement, ces derniers sont tous les deux partis sans voir la maison. Une autre avait un projet de mariage qui a été retardé… Ce sont pas mal d’exemples et de projets qui sont aujourd’hui mis en péril.”
Normalement, les souscripteurs devaient recevoir leurs maisons entre 2017 et 2020, selon les dates de souscription. Mais sur le site, regrette le collectif, il n’y aurait que des terrains nus, même pas de chantiers en cours. “Nous faisons partie de la troisième phase. Il y en a certes qui avaient reçu leurs maisons, mais c’était dans les 1re et 2e phases”, a précisé le plaignant qui interpelle la Direction générale de la Caisse des dépôts et consignations. “Nous n’avons quand même pas demandé la lune. Nous avons juste demandé à rencontrer le directeur général, afin qu’il nous dise où en est notre dossier et ce qu’il prévoit de faire pour nous aider à recevoir nos maisons.”
Jusque-là, le DG de la boîte n’a pas voulu leur accorder ladite audience, selon leurs dires. À la place, c’est le directeur de CDC Habitat qui les a reçus et ils sont loin d’être satisfaits. Joint par téléphone, le directeur de CDC Habitat a dit comprendre la colère du collectif, tout en relevant que ce dossier est pris en charge avec la plus grande attention par la direction générale. “Je dois dire que moi-même je les ai reçus, on a largement échangé sur la situation et nous sommes en train de travailler sur des pistes de solutions”, a souligné M. Fall qui demande un peu plus de compréhension par rapport à cette situation héritée de l’ancien régime.
Le cas des clients de Teyliom et autres promoteurs privés
À l’origine, la CDC travaillait dans ce programme avec une société privée du nom de Physalis. Mais depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau régime, il a été décidé de prendre le contrôle de la société après avoir constaté les manquements du contractant. Dans le même sillage, une procédure est en cours pour recruter 100 PME en vue de parachever le programme.
À la question de savoir ce qu’étaient devenus les versements des souscripteurs, le directeur de la filiale a été très évasif. Aucune réponse claire. “Nous sommes en train de faire l’état des lieux pour voir comment poursuivre le programme dans les meilleures conditions”, a-t-il réagi, avant d’ajouter : “Si on avait trouvé leur argent, le problème ne se poserait pas.”
Outre les programmes publics qui, généralement, tirent en longueur, faute parfois de ressources financières suffisantes, les privés également s’y mettent dans le business du logement avec leurs lots de désespoir. Des promoteurs a priori très sérieux attirent souvent des citoyens dans des projets en apparence solides. Mais à l’arrivée, c’est souvent le désespoir.
Victime de ces promoteurs privés, Elimane Haby Kane estime qu’il y a un véritable problème avec les programmes de logements publics comme privés. “Des entreprises comme Teliyom et ses succursales Keyrode… font souffrir le martyre à leurs clients, dont certains ont décidé d’ester en justice, d’autres désistent et demandent avec difficulté à recouvrer leurs fonds déjà engagés”.
Un État peu protecteur des faibles
Dans une tribune, M. Kane dénonce une arnaque commerciale dont sont victimes les ménages sénégalais face à la crise du logement. Pour lui, ce phénomène de plus en plus préoccupant engendre des drames au sein de certaines familles. “Les citoyens sénégalais sans défense ni protection de l’État se retrouvent dans des situations précaires, dans une insolvabilité organisée, à cause de traites bancaires à assumer sans disposer d’un toit, en continuant à faire face à des charges locatives de plus en plus onéreuses”, constate-t-il pour le déplorer.
Les ménages, selon lui, ont du mal à se mettre à l’abri dans un foyer décent et à garantir la sécurité de leurs familles. “Utilisant leurs économies et sacrifiant leurs centres d’intérêt, beaucoup de travailleurs recourent à des projets immobiliers qui ont l’apparence d’offres sérieuses portées par des entreprises qui ont pignon sur rue. Mais souvent, ils se retrouvent dans le désarroi, abandonnés à eux-mêmes, face aux turpitudes et à la cupidité de promoteurs véreux qui ne respectent ni délais de livraison ni normes de construction”, a-t-il poursuivi, invitant l’État à être plus vigilant et protecteur face à cette boulimie des promoteurs.
Depuis quelques années, l’accès au logement est devenu un véritable casse-tête. En sus de la raréfaction du foncier et de l’arnaque des privés, il faut aussi noter les lenteurs dans les nombreux projets de l’État, qui s’est assigné comme objectif de construire 500 000 logements sociaux d’ici 2035. Là aussi, les citoyens dénoncent des procédures peu transparentes et souvent une politisation à outrance.