NETTALI.COM - Plusieurs organisations de la Société civile ont publié, le lundi 26 mai, une déclaration commune pour appeler à “une réforme urgente” de l'article 255 du Code pénal. Selon Alioune Tine et Cie, cet article rédigé en des termes ambigus ouvre la voie à des interprétations subjectives et devrait être revu.
“Nous, mouvements et organisations de la Société civile, exprimons notre vive préoccupation face à l'usage récurrent de l'article 255 du Code pénal...”, disent-ils dans le communiqué.
D'après les organisations signataires, un an après l'arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye, les poursuites et interpellations contre des journalistes, activistes et hommes politiques continuent et installent de plus en plus d'inquiétude chez les défenseurs des droits humains. “Cette situation contraste fortement avec les aspirations démocratiques exprimées par les citoyens lors des dernières élections, ainsi qu'avec les engagements de rupture et de renouveau institutionnel pris par les nouvelles autorités”, dénoncent- ils.
Le cas Abdou Nguer
Pour étayer ce fait les OSC de développer sur le cas Abdou Nguer : "le dernier à en faire les frais est Abdou Nguer, chroniqueur et commentateur de l’actualité politique. Le 20 mai, il a été placé sous mandat de dépôt par le juge d’instruction du 3e cabinet du tribunal de Dakar. Il est inculpé pour diffusion de fausses nouvelles, offense au Chef de l’État et apologie de crime ou délit. Il s’agit là de la seconde incarcération préventive en l’espace d’un mois, les chefs d'accusation étant liés à des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, notamment TikTok, dans lesquelles il aurait analysé des dossiers d'intérêt public tels que l’affaire PRODAC, le rapport de la Cour des comptes...
Le 17 avril, ce chroniqueur, de la chaîne de télé SenTV, a été placé pour la première fois sous mandat de dépôt après sa présentation devant le juge d’instruction du 3e cabinet du tribunal de Dakar. Il était poursuivi pour des faits de « diffusion de fausses nouvelles ». Sa convocation découlait d’une auto saisine du procureur de la République, intervenue après la diffusion de propos jugés sensibles au sujet du défunt magistrat Mamadou Badio Camara, ancien président du Conseil constitutionnel.
Sa détention prolongée marque les limites de la liberté d’expression dans un État de droit. Il est reproché à Abdou Nguer d’avoir émis des opinions critiques sur des sujets d’intérêt public. un droit pourtant protégé par la Constitution sénégalaise et par les instruments juridiques internationaux ratifiés par le Sénégal."
Les cas Assane Guèye dit Azoura Fall, Ousseynou Kaïré et Assane Diouf
Avant d'embrayer : "Après une auto saisine du procureur pour avoir été accusés d'avoir injurié l'ancien président Macky Sall, les militants de Pastef, Assane Gueye dit Azoura Fall et Ousseynou Kairé ont été jugés en flagrant délit le 21 mai et risquent 6 mois de prison, dont 3 ferme. Pour rappel, Azoura Fall avait bénéficié d'une liberté provisoire en raison de son état de santé avant d'être convoqué à nouveau.
Quant à l’activiste Assane Diouf, il a été placé sous mandat de dépôt pour diffusion de fausses nouvelles et offense à une autorité assimilée au président de la République après sa comparution devant le doyen des juges d’instruction le 3 mars dernier. Le 10 avril, le journaliste Simon Faye, rédacteur en chef de SenTv et de Zik Fm, a été convoqué et placé en garde pour diffusion de fausses nouvelles avant d’être libéré sous le régime du contrôle judiciaire."
Le cas d'acteurs politiques
Pour ce qui est du cas des acteurs politiques, les OSC de citer : "les cas de Moustapha Diakhaté et Adama Fall sont à relever. Le premier est une voix critique du pouvoir actuel. Il a été arrêté le 22 novembre 2024 pour « insultes par le biais d’un système informatique envers un groupe se caractérisant par son origine nationale” avant d'être libéré le 24 janvier dernier.
Le second, Adama Fall, acteur politique et opposant au pouvoir, est placé en garde a ̀ vue pour diffamation et diffusion de fausses nouvelles le 21 février, avant d'être relaxé le 26 février. Ces cas, récents parmi tant d’autres, s’inscrivent dans une tendance préoccupante de l’utilisation abusive de l’article 255 du code pénal, qui menace gravement la liberté d’expression et la liberté de presse surtout dans l’espace numérique. Il stipule : « La publication, la diffusion, la divulgation ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers, sera punie d'un emprisonnement d'un à trois ans et d'une amende de 100 000 à 1 500 000 francs (...) »."
Pour les OSC, "cet article rédigé en des termes ambigus dans un cadre législatif post-colonial, ouvre la voie à des interprétations subjectives. Par ailleurs, le recours systématique à la sanction la plus sévère, sans prise en compte des circonstances spécifiques de l'infraction, soulève de sérieuses préoccupations quant au respect du principe de proportionnalité des peines dans un État de droit. Les Nations Unies (Onu) ont mis en garde contre les réponses étatiques excessives. Elles appellent les États à s’abstenir de mesures disproportionnées telles que les coupures d’Internet ou l’adoption de lois imprécises et trop larges, utilisées pour criminaliser, bloquer, censurer ou restreindre les discours en ligne, au détriment de l’espace civique. Pour éviter des réponses juridiques inadéquates et préjudiciables aux droits de l’Homme, l’État du Sénégal doit mettre en oeuvre une série de mesures à savoir : renforcer le rôle des médias libres, indépendants et diversifiés, investir dans l’éducation aux médias et au numérique, autonomiser les individus et rétablir la confiance du public. Toutes les personnes en détention préventive sur la base de cet article controversé ces derniers mois, devraient pouvoir bénéficier de procès sans délai et d’une remise en liberté immédiate. Pour celles ayant déjà été condamnées, il est impératif d’envisager un réexamen de leur situation, notamment à travers un aménagement de peine ou une mesure de grâce, afin de garantir le respect des principes de proportionnalité et de protection des droits humains."
Dans une période où le Sénégal est perçu comme un modèle de démocratie stable en Afrique, poursuivent les OSC, "ces convocations et arrestations tous azimuts, peuvent ternir l’image d’un pays, respectueux des droits humains.", estimant que " la démocratie ne se résume pas aux élections, elle est une culture. Elle repose aussi sur un espace civique ouvert et pluraliste où les citoyens peuvent s’exprimer sans crainte de représailles systématiques".
Pour éviter un recours excessif à ces dispositions liberticides, les osc proposent ainsi de réformer l'article 255 du code pénal qui criminalise la publication de fausses nouvelles et l’article 80 pour les aligner avec les normes internationales ; de réexaminer toutes les mesures punitives, y compris les restrictions pénales à la diffamation, l’injure, l’offense ou à la publication de fausses informations, et s'assurer qu'elles sont nécessaires, proportionnées, justifiables et compatibles avec les normes internationales en matière de droits de l'homme ; de privilégier des peines alternatives à l’emprisonnement, dans le respect du principe de proportionnalité comme des peines avec sursis, des travaux d’intérêt général (TIG), des amendes proportionnées aux capacités financières de la personne condamnée, un programme sur l’usage responsable de l’information ; respecter les engagements internationaux en matière de droits humains, notamment ceux découlant de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auxquels le Sénégal est partie ; instaurer un juge des détentions et de la liberté pour statuer sur les mises en détention. des mesures alternatives telles : le renforcement du rôle des médias libres et indépendants, l'éducation aux médias, la restauration de la confiance du public pour la prévention, le recours aux peines alternatives à la détention.
A noter que La Déclaration a été signée par Article 19, Africajom Center, Amnesty, Raddho et Y en a marre, AfricTivistes, Article 19 Afrique de L’Ouest, la LSDH, Jaly Badiane, journaliste et activiste, Azil Momar Lo, journaliste et chercheur, Valdez Onanina, journaliste et chercheur, l'Association des Éditeurs et Professionnels de la Presse en Ligne (APPEL) et Ayoba Faye, journaliste.