NETTALI.COM - Lutte contre le terrorisme, santé, industrie extractive, électricité… Trump chamboule tout et met plusieurs organisations publiques et privées - dans l'embarras.
La décision de Donald Trump de suspendre pour 90 jours l'aide américaine au développement est en train de provoquer la panique dans de nombreux programmes en Afrique en général et au Sénégal en particulier. Plusieurs secteurs d'activités sont concernés, dans le public comme dans le privé. La sécurité et la lutte contre le terrorisme ne sont pas épargnées. “C'est un changement de direction majeure qui va impacter la sécurité, notamment le programme de lutte contre le terrorisme, lancé il y a quelques jours et qui concerne aussi bien la police, la gendarmerie, la douane que l'armée”, souffle une source à “EnQuête”.
Dans le cadre de ce programme, des formateurs américains étaient d'ailleurs venus au Sénégal, mais ils ont été obligés de rentrer à la suite de cette décision tombée comme un couperet.
Il faut noter que les États-Unis font partie des principaux alliés du Sénégal en matière de coopération militaire. Ils ont souvent appuyé les forces de défense et de sécurité, non seulement en termes de formation, mais aussi pour les équipements. Il y a environ un mois, le 7 janvier dernier, une importante cérémonie avait été organisée par la gendarmerie, dans le cadre de cette coopération.
Selon un communiqué de l'institution, il s'était agi de réceptionner un important lot d'équipements de pointe qui devrait permettre au Sénégal de mieux surveiller ses frontières. “La remise de ces équipements (d'une valeur estimée à 450 millions F CFA) fait partie d'un programme de quatre ans, dans lequel les États-Unis se sont associés aux forces de sécurité sénégalaises pour renforcer notre capacité collective à identifier et répondre aux menaces, améliorer la sécurité des frontières et lutter contre le trafic illicite de stupéfiants, d'armes et d'êtres humains”, indiquait la gendarmerie qui se réjouissait que cette collaboration va renforcer la sécurité nationale et régionale.
La politique sécuritaire et énergétique touchée par la mesure
La sécurité n'est pas le seul domaine impacté par la mesure de suspension prise par Donald Trump. L'énergie et les infrastructures seront également lourdement impactées avec la suspension de la phase 2 du MCA. D'ailleurs, le Premier ministre Ousmane Sonko l'a brièvement abordé hier à Louga. “... Vous avez entendu les décisions prises par le nouveau président américain Donald Trump, qui a suspendu tous les programmes destinés aux pays en développement, le temps d'étudier ces programmes. Le Sénégal va subir directement cette décision, parce que nous bénéficions d'un important programme dans le domaine de l'électricité, avec un financement de plus de 500 millions de dollars, qui est aujourd'hui suspendu”, constate le Premier ministre sénégalais.
La leçon qu'il faut en tirer, selon lui, c'est qu'on ne peut pas continuer de dépendre de l'extérieur. Mais l'État n'est pas la seule victime de cette décision de Donald Trump. Certaines organisations de la société civile sont aussi dans l'expectative. Il s'agit de tous ceux qui travaillaient avec l'USAID. Tout le monde est impacté de manière immédiate, depuis que la mesure de suspension a été prise. “On ne peut rien faire dans le cadre de ces programmes financés par les États-Unis. Évidemment, c'est des conséquences très fâcheuses”, confie un de nos interlocuteurs. Parmi les organisations les plus touchées, il y a celles qui sont dans le domaine de la santé, où les États-Unis injectaient beaucoup d'argent à travers l'USAID.
D'autres secteurs comme les industries extractives sont aussi touchés. Une grande inquiétude pour les personnels locaux Cela dit, le gouvernement américain a apporté quelques dérogations, pour éviter certaines conséquences dramatiques. Dans une note rendue publique par le département d'État, le secrétaire d'État précise : “Dans le cadre de la mise en oeuvre du décret du président Trump sur la réévaluation et la réorientation de l’aide extérieure des États-Unis, j’ai approuvé hier une dérogation supplémentaire au gel de cette aide pour l’assistance humanitaire vitale durant la période du réexamen. Les responsables de l’exécution des programmes d’assistance humanitaire vitale existants doivent poursuivre leurs travaux ou les reprendre s’ils ont été interrompus, sous réserve des directives énoncées dans ladite dérogation.”
Cette reprise, souligne la source, “est par essence temporaire et, sauf exception limitée nécessaire à la poursuite des programmes d’assistance humanitaire vitale, aucun nouveau contrat ne sera conclu”. Il résulte de la dérogation que “l'aide humanitaire vitale s'applique aux médicaments essentiels, aux services médicaux, à la nourriture, au logement et à l'aide à la subsistance ainsi qu'aux fournitures et aux frais administratifs raisonnables nécessaires à la fourniture de cette aide”.
Trump s'est voulu toutefois très précis. “Cette dérogation ne s'applique pas aux activités qui impliquent des avortements, la planification familiale, les conférences, les programmes d'idéologie du genre ou de DEI, les chirurgies transgenres ou toute autre assistance non vitale”, soutient la source.
Ce membre de la société civile actif dans le domaine de la santé informe : “Les organisations qui sont dans le champ de la dérogation ont été sommées de produire des mémos pour justifier qu'elles ne sont ni dans la promotion du genre, ni dans la planification familiale, l'avortement médicalisé, encore moins dans la promotion des droits des LGBT.”
Les organisations qui sont dans la PF, l'avortement et la promotion LGBT ne peuvent bénéficier de la dérogation
Mais la grande inquiétude, c'est par rapport à tous les personnels qui risquent de subir les impacts de cette suspension. Une question qui fait grand débat au sein des organisations de la société civile. Est-ce que Trump va respecter les droits des travailleurs impliqués dans le cadre de ces programmes ? La question taraude bien des esprits. Pour le moment, ils doivent se contenter d'une simple note qui leur impose de cesser tous les travaux financés par l'aide américaine, sous réserve des dérogations qui ont été approuvées par le département d'État. “J'ose espérer que l'on ne va pas l'appliquer aux salaires, qui résultent d'un engagement contractuel. On ne peut pas se lever un jour et décider de les arrêter comme ça. Sinon, il y aura certainement des procès. Les gens qui sont recrutés dans les programmes, c'est généralement de hauts cadres, débauchés parfois d'autres structures. On peut certes comprendre cette décision d'un État qui est souverain, mais il faut respecter les droits de ces travailleurs”.
Loyers, l'électricité, le fonctionnement...
Si les organisations locales ressentent directement cette décision, il faut noter que leurs homologues américaines ne sont pas non plus épargnées. En effet, généralement, la plupart de l'aide américaine distribuée par des organismes comme l'USAID passe par les grandes organisations de la société civile américaine. Par exemple, dans le cadre du programme Nietti Élection financé, l'USAID était passée par l'Union européenne. Dans le cadre du programme Trace, c'est la NRGI, une autre organisation américaine qui pilote avec ses partenaires sénégalais. Les personnels de ces organisations, souvent des étrangers, risquent eux aussi d'être les grands perdants.
Plusieurs milliards de francs CFA en jeu
La question doit aussi être surveillée de très près par certains Sénégalais, notamment ceux dont les activités avaient pour principale clientèle ces hauts cadres dont le séjour à Dakar était financé grâce à l'argent du contribuable américain. Ces derniers sont nombreux dans certains quartiers huppés comme les Almadies où pullulent les écoles bilingues et même parfois des boutiques américaines.
Avec le nouveau paradigme déclenché par Trump, ce sera le strict nécessaire. Durant son premier mandat, les mesures qu'il avait prises dans le domaine de la planification familiale avaient fait perdre quatre ans au Sénégal, rapporte un de nos interlocuteurs. “Nous étions sur une bonne marge de progression. On avait réussi à avoir un taux de 16 %. Mais quand il est arrivé avec ses mesures, tout était complètement à l'arrêt. On n'a presque pas bougé”, témoigne la source. Il aura fallu son départ pour voir le taux repartir pour atteindre la barre des 21 %, informe la source. Dans un article publié il y a quelques jours, “Jeune Afrique” soulignait que le Sénégal a touché 170,3 millions de dollars d'aide de la part des États-Unis durant l'année 2023, soit 106,4 milliards F CFA.
Les secteurs concernés étaient l'éducation, la santé, le développement économique, la paix en Casamance... Il convient de noter que la suspension est prévue pour une durée de trois mois. À l'issue des évaluations, certains programmes pourront être repris. Cela dépendra des humeurs de l'homme fort de Washington.
EnQuête