NETTALI.COM - Faut-il désespérer de la gouvernance de la justice au Sénégal ? Il ne faudrait surtout pas, même si sous nos cieux, les régimes changent, les gouvernants se succèdent, mais l’administration de la justice est toujours la même. Immuable et indifférente aux changements d’époque et vents de liberté qui soufflent. De Senghor en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade pour arriver à Macky Sall, il y a comme un phénomène de conservatisme qui recommande de maintenir la justice en l’état. Il n’y a en effet aucune volonté notée d’apporter des innovations en vue du renforcement de l’indépendance de la justice.

Si ce n’est pas le lien ombilical maintenu entre le parquet et le ministre de la justice qui empêche d’attribuer plus de libertés aux procureurs dans l’opportunité ou non de poursuivre, c’est la survivance des textes de lois jugés liberticides par quasiment tous les juristes et les observateurs de la scène politique qui entache l’évolution positive de la marche de la justice. Ces articles qui requièrent le mandat de dépôt obligatoire (article 56 à article 100 et 255 du code pénal) lient en effet fortement les magistrats instructeurs, même si ceux-là n’ont aucun rapport hiérarchique avec le ministre de la justice. Des textes de loi que l’on dit le plus souvent appliqués aux adversaires des régimes et plus particulièrement à leurs opposants. Ces qualifications associées à ces articles ont pour noms : atteinte à la sûreté de l’Etat, trouble à l’ordre public, appel à l’insurrection, etc.

Et pourtant les promesses des candidats aux présidentielles de changer les lois, une fois au pouvoir, foisonnent. Mais une fois au pouvoir, rien ! La Commission nationale de la Réforme des Institutions (Cnri) qui avait produit un rapport et des recommandations pour plus de démocratie, n’avait-elle pas vu Macky Sall lui asséner qu’il choisirait ce qui lui plait.  Ce qu’il a d’ailleurs fait.

Trajectoires historiques troubles

Le lien ombilical entre le parquet et le ministère de la justice, laisse de fait entrevoir dans l’esprit de beaucoup de nos concitoyens, bien au fait des affaires politiques et judiciaires, la main de l’exécutif derrière les actes que pose le parquet, à chaque fois qu’un homme politique, ou activiste ou encore un membre de la société civile, a maille à partir avec les pouvoirs. Beaucoup ont d’ailleurs vu dans la récente traduction de Souleymane Téliko au conseil de discipline du Conseil supérieur de la magistrature, un acte visant à anesthésier le charismatique magistrat, connu pour être un combattant acharné de l’indépendance de la justice. Ce n’est donc nullement un hasard si le retrait du président de la République et du ministre de la justice du conseil supérieur de la magistrature, chargé de la gestion des carrières des magistrats, est sans cesse demandé. Un souhait qui ne rencontre pas jusqu’ici l’accord des gouvernants qui, pour se défausser, font de cette indépendance de la magistrature, une affaire d’homme et brandissent sans cesse, l’existence de garanties d’indépendance que procureraient les textes.

L’on se rappelle des déboires judiciaires d’Idrissa Seck dans l’affaire des chantiers de Thiès. Vu qu’il était passible de la Haute cour de justice en sa qualité d’ancien Premier ministre et que la procédure dans cette juridiction d’exception est longue, le pouvoir de Wade avait ouvert un autre dossier. Il voulait coûte que coûte envoyer en prison cet adversaire gênant. C’est ainsi que le parquet, activé par le pouvoir, avait initié des poursuites contre lui pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Un dossier confié à l’époque à la doyenne des juges, Seynabou Ndiaye Diakhaté, l’actuelle présidente de l’Ofnac, après une enquête préliminaire menée par la Dic dirigée en son temps par Assane Ndoye.

L’on se souvient aussi du fameux « flagrant délit continu » théorisé par le procureur Abdoulaye Gaye. Celui-ci avait conduit l’opposant Abdoulaye Wade et plusieurs de ses partisans en prison. A plusieurs reprises. Cette théorie était un moyen de mettre toutes les manifestations qui se prolongeaient sur le dos de l’alors teigneux adversaire politique de Diouf.

La convocation de Macky Sall à la sûreté urbaine, est également fraîche dans les mémoires. L’actuel président de la République avait été convoqué à un moment où il était soupçonné de blanchiment d’argent. La suite, on la connaît, le dossier avait fait pschiit et même profité à la victime qui est devenue chef de l’Etat.

Les dossiers Karim Wade et Khalifa Sall qui furent par la suite graciés, ont fait l’objet de toutes sortes de commentaires liés à des soupçons de mains politiques de la part de leurs partisans et même au-delà.

A « Jakarloo » de ce vendredi 19 février, Moustapha Diakhaté est revenu sur des soupçons de complot politique qui suivent la trajectoire de l’histoire politique du Sénégal, expliquant que tous les honnêtes sénégalais reconnaissent que l'accusation de coup d’Etat imputée à Mamadou Dia n’était pas avérée. Il a aussi rappelé les moments où il était président du groupe parlementaire et pendant lesquels, il leur avait été demandé de lever l’immunité parlementaire de quelques députés cités parmi les 25 personnes qui devaient être poursuivies à la Crei. Mais au finish, explique-t-il, seul Karim Wade a été jugé, ajoutant que certains parmi eux siègent au conseil des ministres.

Ce qui veut dire finalement qu’en suivant la trajectoire historique du Sénégal, les soupçons de manipulations politiques dans des affaires judiciaires impliquant des opposants, ont toujours existé. En d’autres termes, tous les gouvernants ont eu leur part de dossiers suspects. Et ce sont justement ces précédents qui laissent fortement planer le doute sur le caractère suspect du dossier «sweet beauty». Moustapha Diakhaté relevait toutefois que ce soupçon ne signifiait pas forcément qu’il y a de la manipulation politique.

Le glissement vers une réponse politique

Les membres de Pastef convaincus d’être en présence d’un complot politique, semblent désormais vouloir apporter une réponse politique à chaque acte posé. C’est ce que révèlent les manifestations de ce fameux lundi avec saccages et violence. Une situation qui avait conduit à procéder à des arrestations dans les rangs de Pastef et à placer sous mandat de dépôt 19 personnes (dont 1 en plus sera inculpé et placé sous contrôle judiciaire) poursuivis pour les charges d’association de malfaiteurs, manifestation sur la voie publique, sans autorisation, incendie volontaire, trouble à l’ordre public.

Conséquence, deux procédures sont maintenant enclenchées : la première, relative au viol, est confiée au juge du 8e cabinet ; la seconde qui découle des manifestations de ce fameux lundi, est imputée au juge du 1e cabinet.

A « Jury du dimanche », Théodore Chérif Monteil est revenu sur cette fameuse convocation de Sonko à l’Assemblée nationale : «  Beaucoup de gens sont en train de spéculer sur la convocation de la gendarmerie. Certaines personnes mêmes justifient les troubles qu’il y a eu par le fait que la gendarmerie ait convoquée un député. Je défie quiconque de montrer un texte qui interdit à un gendarme de convoquer un député parce que dans la constitution sénégalaise, il n’est pas dit que le député ne peut pas être entendu. Quand un juge ou un officier de police judiciaire a besoin, dans une affaire, d’être éclairé il peut convoquer n’importe quelle personne. » Toutes choses qui amènent ce parlementaire à déduire que “l’immunité parlementaire ne couvre pas l’enquête préliminaire».

Mais dans cette affaire, des actes n’ont pas manqué pas de susciter des interrogations. Le  fait par exemple que le procès-verbal d’enquête préliminaire de l’affaire se soit retrouvé sur la place publique, alors que la personne incriminée n’est même pas encore été installée dans la procédure, sème le doute dans certains esprits. Ce qui a fait sortir de leurs gonds, les puristes du droit. Selon eux, il y a violation du secret de l’enquête. Un fait réprimé par la loi. Le professeur Samba Thiam, le Directeur de Institut des Droits de l’Homme qui fait ce constat de violation, cite l’article 363 du Code pénal qui prévoit « la violation du secret professionnel comme étant une infraction. La sanction pourra être d’un à 6 mois sans préjudice de la peine d’amende ». Ce procès-verbal était-il le bon ? N y avait-il pas manipulation ? Autant de questions légitimes d’autant plus que les termes de leurs exploitations étaient différents selon…

Dans ce contexte où le complot politique est sans cesse brandi par Ousmane Sonko, ses partisans et certains acteurs de la société civile et du monde politique, comment faut-il décrypter les propos de Me Wade ? « J’ai le sentiment que Sonko a manqué de prudence et a été piégé. Apparemment, son inexpérience a été exploitée par un adversaire puissant et futé qui connaît ses faiblesses », a dit Abdoulaye Wade qui a condamné « cette façon d’éliminer un adversaire politique ». Une sortie qui rappelle les propos que le même Wade avait tenus à l’endroit d’Ousmane Sonko, profitant d’une rencontre avec le patron de Pastef pour le mettre en garde contre le pouvoir de Macky Sall qui n’hésiterait pas à le liquider.

Les patriotes ont montré leurs réserves sur l’enquête diligentée par la Section de recherches (SR) de Colobane puisqu’ils ont relevé que celle-ci révélant qu’un médecin et un avocat notamment, ont été cités pour faciliter le déplacement de la plaignante à l’heure du couvre-feu, n’a pas été poursuivie. Ce qui, selon eux, est une curiosité car le numéro de la personne ayant cité l’Avocat et le médecin est connu des enquêteurs. Il est également fort curieux d’après eux que ce médecin n’ait pas été entendu, ni les personnes qui ont accueilli la plaignante à l’hôpital, indiquent-ils, soutenant «qu’il est techniquement facile par des réquisitions faites aux opérateurs de téléphonie d’identifier les numéros».

Un dossier bien complexe à dénouer d’autant plus que Sonko, convaincu d’un complot, ne se laissera pas conduire à l’échafaud sans brocher. Jeudi 18 février, le leader de Pastef a posé des actes en s’offrant un bain de foule, faisant en même temps, une démonstration de force à l’Ucad où il était parti s’enquérir de la santé d’étudiants blessés. Le lendemain vendredi, le campus social a été le théâtre d’affrontements entre étudiants affiliés à Pastef et étudiants républicains. La suite, c’est la découverte par les services de sécurité de la Direction du centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud) d’armes blanches saisies, suite à la fouille des chambres d’étudiants. Ce qui n’augure rien de bon.

Moustapha Diakhaté bien au fait des arcanes de l’Assemblée nationale, a toutefois fait savoir que jusqu’ici l’enquête et le travail de l’Assemblée se sont bien déroulés. Ce qui n’est pas l’avis de Moustapha Guirassy, représentant de l’opposition dans cette commission qui considère la mise en place de cette commission comme « une mascarade pour faire croire que les choses se font dans les règles, alors que c’est faux ». C’est d'ailleurs suivant cette logique que les députés Cheikh Bamba Dièye et Moustapha Guirassy ont décidé de ne plus être membres de la commission ad hoc. Selon eux, le déroulement des travaux de cette commission va mettre en péril des fondamentaux de l’Etat de droit.

A  «Jury du Dimanche» de I-Radio, le parlementaire Théodore Chérif Monteil a marqué son désaccord avec les députés démissionnaires de la commission ad hoc, estimant que la lettre adressée à l’Assemblée visait bien la levée de l’immunité parlementaire d’Ousmane Sonko.

A travers son refus de réceptionner la convocation remis par le gendarme, Ousmane Sonko montre qu’il ne va pas du tout faciliter la levée de son immunité. Chercherait-il à la rendre impossible, quitte à déplacer l’affaire sur le terrain politique ? C’est ce qui semble se donner à voir ? Ce qui de l’avis du député Monteil, ne freine pas la procédure. « J’ai entendu dire qu’il a refusé de prendre la convocation que le gendarme de l’Assemblée nationale. S’il refuse de déférer, la commission va continuer son travail. On a vu des levées d’immunité parlementaire où les députés ont choisi un défenseur et ont refusé de déférer à la convocation. La commission ad hoc va continuer son travail sur la base des éléments, ils feront un rapport qu’ils vont apprécier et ce rapport sera remis aux députés. Parce que ce n’est ni le bureau de l’Assemblée nationale, ni la commission ad hoc qui enlève l’immunité parlementaire. C’est la plénière.  La commission ad hoc ne fait que recueillir des éléments. », a dit celui-ci.

La grande difficulté va toutefois être d’échapper aux griffes des enquêteurs de la Dic qui ont mis la main sur des membres de Pastef et de Frapp. Les hommes du commissaire Aliou Ba, le chef de la Dic, reprochent les faits de diffusion de fausses nouvelles, menace de morts et diffusion d’écrits contraires à nos valeurs et association de malfaiteurs à Patricia Mariame Ngandoul, l’épouse de l’administrateur du Pastef, Abass Fall (le patron du Pastef-Dakar), Fatima Mbengue (Frapp/France dégage), Bawar Dia et Dahirou Thiam...Ce dernier, Ingénieur en télécommunication et membre du Pastef, a été arrêté après la déposition de Bawar Dia, en service à la Sonatel-Médina. Lors de son interrogatoire, alors qu’il était en garde à vue, il avait entre autres, indiqué aux enquêteurs que c’est Dahirou Thiam qui lui aurait demandé de réactiver la fameuse puce qui aurait servi à menacer des autorités, alors qu’elle était suspendue en ce moment-là. Il avait aussi confirmé avoir fourni les numéros de certaines autorités avant de jurer qu’il ne savait pas que c’était pour délivrer des menaces. Fatima Mbengue de “Frapp” elle, a été arrêtée et placée en garde à vue, mercredi. Elle aurait des liens, selon l’enquête, avec l’agent de la Sonatel Bawar Dia.

Pour le cas de Patricia Mariame Ngandoul, épouse de l’administrateur général de Pastef, elle, a été dénoncée par Fatimata Traoré, agent à la société d’intérim « Sen Set group» qui avait acheté la puce en cause à sa demande. Abass Fall (Pastef-Dakar) quant à lui était retenu depuis dimanche pour «atteinte à la sûreté de l’Etat, menaces de mort et diffusion de fausses nouvelles». Entendu vendredi pendant plusieurs heures par les limiers de la Dic, Biram Soulèye Diop a été placé en garde à vue.

Une affaire qui ne sera pas facile à trancher d’autant plus qu’Ousmane Sonko et ses troupes qui ont mené une grande bataille médiatique, ont fini de montrer qu’ils n’ont pas confiance en l’enquête et ne peuvent pas croire à l’inexistence d’une main politique dans l’affaire. Comment dès lors Sonko arrivera-t-il à sortir de cet écheveau. L’Assemblée nationale va-t-elle arriver à lever son immunité parlementaire sans sa présence ? Voudrait-elle être accusée de forcing, même si d’aucuns disent que la procédure à l’Assemblée visait bien Ousmane Sonko, expliquant que viser X est un non-sens ?

Au train où vont les choses, Ousmane Sonko semble vouloir vendre chèrement sa peau et se battre sur le terrain politique face à une levée d’immunité parlementaire qu’il sent arriver à vitesse grand V. Il y en a en effet beaucoup pour ne pas croire à la thèse du viol et des menaces de mort, même s’ils ne connaissent pas tous les éléments du dossier et en l’absence d’auditions de Adji Sarr et autres concernés dans le dossier. Abdou Dialy kane, avocat d’Adji Sarr, se dit confiant, expliquant dans le journal « Les Echos » détenir « toutes les preuves »,  ajoutant que « tout ce qui se dit à travers la presse, n’intéresse pas le juge » qui est « son seul interlocuteur ». Visé dans deux dossiers, l’hypothèse da la seconde poursuite qui est venue se greffer, dénote de l’avis de certains observateurs d’une simple volonté de poursuivre Sonko pour appel à l’insurrection, si d’aventure la plainte pour viol venait à ne pas prospérer. Affaire à suivre.