NETTALICOM -   … Producteurs sauvons-nous nous-mêmes ! Décrétons le salut commun ! Le monde va changer de base : Nous ne sommes rien, soyons tout ! » (‘’L'Internationale’’, Eugène Pottier-1871).

Le coronavirus apparu en Chine à la mi-décembre 2019 a très rapidement atteint le stade d’une « explosion quasi- exponentielle » n’épargnant, pratiquement au même moment, aucun coin de la planète. Un premier constat en découle : non seulement l’espace monde est devenu une réalité aux plans économique, géostratégique, politique et sécuritaire, mais il est aussi devenu impératif d’appréhender sa consistance et sa portée aux plans humain, sanitaire et social. Les capitalistes exploiteurs, fervents partisans du profit maximum et de la libre circulation des capitaux, ne peuvent plus continuer à se voiler la face : la circulation des personnes, des cultures qu’elles portent comme des virus qu’elles colportent, le partage incontournable des connaissances scientifiques et médicales, doivent être considérés de plus en plus comme des opportunités pour la construction d’un monde plus juste, plus humain et plus solidaire, partant, un monde plus résilient aux catastrophes planétaires.
«Le monde va changer de base » : certes aucune pandémie, fût-elle la plus ravageuse, ne suffira par elle-même à pousser à la réalisation d’un tel saut, d’un tel basculement prométhéen, mais elle en prescrit, grandeur nature, l’urgente nécessité. Ce que le sociologue Edgar Morin appelle l’unification techno-économique du monde des années 80-90, a déjà fait trop de dégâts et aujourd’hui encore le désastre perdure, au nom du dogme intégriste néolibéral. Dans un pays comme le Sénégal, l’économie, le secteur public et les secteurs sociaux tels que l’école, la santé et l’emploi en particulier, en ont fait cruellement les frais, hier et aujourd’hui, avec les vagues des Plans d’Ajustement Structurels, de la Nouvelle Politique Industrielle, de la Nouvelle Politique Agricole, des privatisations à tout-va et du Moins d’Etat.
Pourtant le PNUD, dès son Rapport mondial sur le développement humain- 1994, avait lancé un avertissement en mettant le doigt sur l’impératif de la sécurité humaine : «  Sécurité de l'emploi, du revenu, sécurité sanitaire, sécurité de l'environnement, sécurité face à la criminalité: telles sont les formes que revêt aujourd'hui la problématique de la sécurité humaine dans le monde. » Sur le même registre, le Rapport annuel sur les inégalités dans le monde, publié par l’ONG OXFAM fait ressortir qu’à la fin décembre 2018, les richesses des 1% les plus fortunés correspondent à plus des deux fois de la richesse de 90% de la population mondiale ! Fortes inégalités d’un monde de la barbarie régenté par les lois du marché néolibéral-capitaliste. Et comme par hasard, les Etats Unis d’Amérique, le pays dit le plus riche du monde, sont devenus de fait l’épicentre du covid-19 en termes de nombre de cas positifs et de décès, devant l’Italie, l’Espagne, la France, l’Iran, la Grande Bretagne et autres, au moment même où la Chine, point de départ de la pandémie, semble effectuer son retour progressif à la normale. Le Sénégal et l’Afrique, pour le moment, paraissent s’en tirer mieux que les autres.
Autant de données poussant à se demander ce que valent bien toutes les richesses du monde si elles sont incapables de venir à bout d’une minuscule créature semant un peu partout contaminations, désolations et morts au grand désarroi des populations. Le monde doit changer de base, pour l’avènement d’une civilisation humaine pleinement épanouie, une humanitude sociale réconciliant l’être humain avec lui-même et avec son prochain : Nit, nitay garabam, enseigne la sagesse wolof ! Telle est la voie pour donner corps à la nécessaire refondation du monde. Tout comme à la refondation de l’Etat et de la société au Sénégal et en Afrique, directive des Assises Nationales pilotées par le Président Amadou Makhtar Mbow. Quelque part et en un certain sens, le COVID-19 a ‘’démocratisé’’ la maladie et la mort ! Chefs d’Etats, Princes, Ministres, ouvriers, paysans, artisans, intellectuels, artistes, sportifs, professeurs et aides-soignants, religions et pays confondus, ethnies et races, riches et pauvres : plus d’évacuations sanitaires vers l’extérieur dans des cliniques huppées pour privilégiés ! Tous embarqués dans la même galère, même si ça sent la morue et le hareng- pour parler comme Jean Paul Sartre.
Relever le défi de la sécurité humaine aujourd’hui et demain, impose d’articuler étroitement le combat premier de la prévention et le combat incontournable de la prise en charge en tant que constituent les deux faces d’une politique de santé publique populaire, efficiente et de qualité. A cet effet, d’un côté il est de la responsabilité des pouvoirs publics de ne pas faillir dans la prise en charge des priorités réelles et subséquemment dans l’allocation à bon escient des ressources de la nation : il leur revient dans ce cdre d’assurer la prise en charge efficiente et à temps des besoins des larges masses populaires en termes notamment d’instituts de recherche-développement viables, d’infrastructures sanitaires et hospitalières performantes, dotés de budgets adéquats, de personnels motivés, suffisants en nombre et en qualification, d’équipements et de plateaux techniques relevés, répartis dans le pays suivant une approche d’équité territoriale effective. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que l’OMS a formulé la recommandation en direction des Chefs d’Etat africains, qui l’ont adoptée depuis 2001, d’affecter au moins 15% du budget national au secteur de la santé. De l’autre côté, miser sur la prévention d’abord (fàggu moo gën faju), c’est pointer la responsabilité individuelle et collective des citoyens, mettre à l’ordre du jour l’exigence d’en finir résolument avec les traits négatifs de notre environnement socioculturel et de gagner la guerre contre l’indiscipline, le laxisme et l’impunité à tous les niveaux, non pas au détour de quelques soubresauts vite enterrés, à l’image des tribulations de l’après naufrage du bateau Le Joola, mais plutôt à la faveur d’une authentique révolution culturelle pour enraciner durablement le changement décisif des comportements et des mentalités, avec la conviction que « nit, nitéey garabam » et que « Yàlla Y²àlla bey sa tool ! ».
Médecins, infirmiers, chercheurs, techniciens et techniciennes de surface, aides-soignants et employés anonymes, professionnels, acteurs et autorités administratives de la santé, chapeau bas messieurs- dames, pour votre dévouement, votre courage et votre compétence, malgré vos dures et difficiles conditions de travail. Il convient ici de saluer les mesures et décisions déployées ou annoncées par le Président Sall et son gouvernement dans le cadre de la stratégie nationale de riposte contre le covid-19: elles vont certainement dans le bon sens et nous osons seulement espérer qu’il ne s’agit pas là d’une prise de conscience de circonstance, ponctuelle et éphémère, le temps de l’orage qui passe, mais bien d’une dynamique d’autocritique, de réorientation et de réforme positives. Certes des signaux plus éloquents auraient pu convaincre et motiver davantage nos compatriotes à participer à l’effort de solidarité nationale, par exemple la réaffectation des fonds politiques ou caisses noires de la Présidence de la République, de l’Assemblée Nationale, du CESE et du HCCT, la suppression des dépenses de prestige ainsi que des institutions et organismes budgétivores, redondants et inutiles, le plus souvent destinés à caser des alliés politiques, tels le HCCT ou la Commission Nationale du Dialogue des Territoires, la généralisation de la prise en charge des tranches sociales sur les factures d’eau et d’électricité des ménages et des particuliers sur deux bimestres au moins, la subvention des prix des denrées de base en lieu et place de la complexe et souvent nébuleuse distribution de nourritures à domicile (sauf pour des catégories bien identifiées, en faveur desquelles un système d’allocations s’impose), etc. On peut bien par ailleurs se poser la question de savoir quel besoin a le Président Sall de se faire voter une Loi d’habilitation concentrant encore plus les pouvoirs, Exécutif et Législatif, entre les mains d’un seul homme qui était déjà un hyper président, à la fois buur et bummi  (Ndax nak ku ndobin rey sa maam…) ? La gravité de la situation dans notre pays, en Afrique et dans le monde devrait en tout cas pousser à freiner la propension à la gestion autocratique, prédatrice, clientéliste et électoraliste des affaires et ressources du pays, si caractéristique des pouvoirs de chez nous.
Soixante ans après l’indépendance négociée (kombin bëre) de Senghor, se pose aujourd’hui encore pour notre continent toute l’actualité des mots d’ordre de l’indépendance nationale, de la République démocratique et de l’Etat fédéral africain, tant il est vrai que les fondamentaux de la domination et les réflexes colonialistes restent encore plus que prégnants. Il n’est donc que temps d’avoir foi en nous-mêmes, aux capacités et à l’admirable créativité des jeunesses, des chercheurs, des artistes, artisans et autres travailleurs d’Afrique, dans les domaines de l’art et de la culture, du numérique, de la science, de la technique et de la technologie, de l’alimentation et de l’habillement, du médicament, des outils et équipements, pour ne citer que ceux- là. Produire local et qualité, consommer local et qualité, se battre pour l’annulation de la dette injuste des pays du Sud, sortir de la dépendance, du néolibéralisme destructeur et de la mondialisation impérialiste fragmentée, pour et par plus d’Afrique, plus de panafricanisme et d’internationalisme des peuples, plus de social, plus d’humanisme, conquérir et assumer l’indépendance nationale effective, la souveraineté populaire et citoyenne africaine dans les secteurs stratégiques de la culture, de la science, de la monnaie, de la santé, de l’alimentation, de la sécurité, etc., compter d’abord en théorie et en actes  sur les propres forces et ressources de l’Afrique, réinventer avec humilité et générosité le vivre- ensemble dans la société humaine, promouvoir la sauvegarde de la biodiversité et des écosystèmes naturels, reconnaitre leur place à la spiritualité et à la foi : voilà tracée la voie, longue et sinueuse, pour contribuer à refonder le monde, un monde de justice, de paix, de travail, de progrès et d’équité, de solidarité, de santé et de prospérité partagée, un monde de respect et de dignité pour tous. Alors oui, le monde changera de base, au Sénégal, en Afrique et sur la planète entière.

Fait à Dakar le 11 Avril 2020
Madieye Mbodj, Professeur à la retraite,
Délégué Général de Yoonu Askan Wi / Mouvement pour l’Autonomie Populaire
E-mail : maajeey@gmail.com