NETTALI.COM - Même s'il a choisi de ne pas se rendre à l'audience avec le président Macky Sall, Abdoul Mbaye, l'ancien premier ministre de celui-ci ne manque pas de donner son opinion sur la gestion du Covid 19. Il a estimé n'avoir vu aucune recette "pour anéantir le choc". Tout au plus, il conseille de passer l'épreuve avec le moins de dégâts possibles.  

La situation de l'économie sénégalaise avant d'être affectée par le coronavirus

"On aurait tort de penser que le temps de la crise sera celui d’un lendemain. La crise, c’est aujourd’hui, elle est déjà là. Elle sera générale, affectant tous les secteurs, violente et planétaire. Elle est sanitaire, financière et économique, parce que frappant le secteur de l’économie réelle.

Demain est encore loin et nous risquons d’être tous morts d’ici là, pour paraphraser Keynes. C’est le moment et l’urgence qui doivent occuper nos réflexions et nos intelligences. Au moins deux faits sont à rappeler comme ayant précédé le choc Covid-19’’.

Premièrement, l’économie sénégalaise n’était déjà pas prospère et entrait avec l’ICPE (l’Instrument de coordination de la politique économique) du FMI (Fonds monétaire international) dans une période d’ajustement structurel et donc de souffrance des ménages, devant restaurer les équilibres budgétaires et de paiements extérieurs malmenés par une politique dont nous avons dénoncé les grands axes et qu’il n’est pas le moment de rappeler. Ainsi, les prix du carburant et de l’électricité, les droits de douane ont dû être relevés ; les dépenses de l’État ont dû être resserrées. Tout cela pesait déjà sur l’économie sénégalaise. Ajoutez-y une mauvaise campagne agricole que révélait la faiblesse des tonnages de graines d’arachide livrées aux huiliers ou disponibles pour l’exportation.

Deuxièmement, l’économie sénégalaise reste une économie de très petites et petites entreprises, une économie reposant sur la petite agriculture familiale et l’artisanat, et donc sur de l’informel. La réduction des temps de travail, des circulations de personnes, le couvre-feu aussi vont lourdement affecter cette économie qui était déjà en souffrance, qui plus est dans une période de soudure dans les campagnes et de fin de revenus quotidiens dont dépend l’essentiel des ménages dans les villes. Pensez aux tailleurs, aux chauffeurs de taxi et de “cars rapides’’, aux marchands ambulants, aux vendeuses dans les marchés, aux laveurs de voitures, aux tenancières de gargote, etc. Des secteurs formels tels l’industrie hôtelière, les activités logistiques de débarquements portuaires, de livraisons, aéroports et compagnies aériennes prendront des mesures de mise en chômage partiel. Mais il faut savoir qu’en raison d’une baisse générale de la demande et parfois de l’offre avant la demande, toute l’économie sera impactée, tous les secteurs connaîtront des baisses d’activité, sauf peut-être les télécommunications qui pourraient même connaître un boom, car les personnes en confinement ou se déplaçant moins communiqueront davantage en les utilisant".

"La crise est donc bien là. L’urgence consiste à empêcher la famine et les graves troubles sociaux qui pourraient en découler"

"La crise est donc bien là. L’urgence consiste à empêcher la famine et les graves troubles sociaux qui pourraient en découler. Pour ce faire, il faut de la distribution de vivres dans les foyers, et j’ai noté que cela était en cours de préparation. Il faut aussi laisser des revenus dans ces mêmes foyers, en baissant les prix du carburant (cela compensera en partie la perte de clientèle des transports en commun), et de l’électricité (je propose un abandon forfaitaire de 40 000 F CFA par mois et par facture de la Senelec).

Il y a aussi, la question de l’emploi, des entreprises en difficulté… Les mises en chômage partiel doivent donner lieu à des compensations par l’Etat des revenus perdus par les employés concernés. La trésorerie des entreprises doit être aidée, notamment par le remboursement intégral des arriérés de factures dues par l’Etat, des reports d’échéances fiscales, la reconduction de découverts auprès des banques avec taux d’intérêt à négocier à la baisse, etc.

La trésorerie de l’Etat doit exister pour pouvoir supporter tous ces efforts exceptionnels. Cela nécessite des moratoires sur les dettes, car l’endettement public a été excessif ces dernières années, sans qu’on ait pris le soin de se laisser des marges de sécurité comme nous y avions appelé. Cela doit concerner la dette bilatérale en particulier. La Banque mondiale et le FMI doivent être mis à contribution pour de nouveaux prêts, non seulement pour la trésorerie, mais aussi pour les devises qui devront servir à permettre la poursuite du ravitaillement des marchés internes en denrées alimentaires notamment".

"Mais ne soyons pas utopiques : je ne vois aucune recette pour “anéantir le choc’’. Efforçons-nous de passer la tourmente avec le moins de dégâts possible"

"Ajoutez à cette situation générale la baisse drastique des transferts de la diaspora, parce que ses propres revenus seront impactés par la crise dans les pays qui l’accueille et que les guichets de transfert d’argent y sont fermés. Ce seront moins de revenus dans les familles et moins de devises aussi pour financer les importations.

Mais ne soyons pas utopiques : je ne vois aucune recette pour “anéantir le choc’’. Efforçons-nous de passer la tourmente avec le moins de dégâts possible. Puis, demain, nous reconstruirons en tirant les leçons de nos nombreuses erreurs de ces dernières années. Et il ne faut pas cacher que ce temps de reconstruction sera long, car les dégâts auront été importants. Je terminerai par un conseil. Que tous les bras libres ou qui le sont devenus, en mesure de faire de l’agriculture, irriguée ou non, s’y préparent ou s’y mettent. Que l’État prépare une campagne agricole de grande qualité, résolument tournée vers le développement de la production céréalière (mil et riz en particulier). Le Sénégal doit redécouvrir les vertus de l’agriculture pour se nourrir".

"le temps des cessations de paiement n’est pas loin"

"À mon avis, le temps des cessations de paiement n’est pas loin. Les demandes budgétaires internes seront tellement fortes à brève échéance que la dette extérieure ne pourra plus être honorée. L’annulation et les moratoires sont les solutions d’intelligence. Mais comme il sera nécessaire de conserver des prêteurs pour les nouveaux besoins, sans doute faudra-t-il garder les dettes vis-à-vis des organes multilatéraux. (...)

Par contre, le nombre 1 000 (à propos des fonds attendus pour endiguer les contrecoups économiques du coronavirus) frappe les esprits, et traduit bien l’importance des moyens qui devront être consacrés à la “survivance économique’’ du Sénégal. Est-il déjà disponible ? Sera-t-il disponible et dans quels délais ? Je ne sais point. Par contre, évitons, par des effets d’annonce, de présenter le Sénégal comme n’ayant pas besoin de concours venus de l’extérieur ou de moratoires sur ses dettes, parce que disposant d’ores et déjà de 1 000 milliards. Mais insistons de nouveau sur l’urgence des mesures à prendre et donc l’utilisation de ce qui est déjà disponible. Le personnel soignant manque de masques ; il faut lui en acheter rapidement et ne pas l’exposer ; d’abord, parce que c’est notre première ligne au combat, mais aussi parce qu’ils sont en nombre limité. Ils nous sont plus précieux que jamais. Ce n’était qu’un exemple de dépenses urgentes à engager parmi d’autres avec des moyen".